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Cédric Herrou : "On peut sauver les gens en leur montrant qu’ils sont nécessaires"
Article mis en ligne le 31 juillet 2019
dernière modification le 30 juillet 2019

Au milieu des oliviers de Cédric Herrou, agriculteur devenu ces dernières années un symbole de l’aide aux migrants dans la vallée de la Roya, cinq demandeurs d’asile et réfugié retrouvent le chemin de l’autonomie et le sourire grâce au travail de la terre. Reportage.

Djasson a troqué les mangues, bananes et patates douces du Sénégal contre le basilic aromatique du sud de la France. Accroupi dans la terre sèche de la vallée de la Roya par un brûlant matin de juillet, le jeune homme de 32 ans suit attentivement les conseils de Charlotte, une bénévole de l’association Emmaüs Roya, pour confectionner des bouquets. Il n’est pas en terrain connu. Ce qu’il préfère, c’est s’occuper des carottes. “Venez voir mes plants”, nous enjoint-il, dans un français approximatif. La démarche voûtée mais assurée, il montre, gonflé de fierté, des plantes verdoyantes sur un jardin en terrasse surplombant la majestueuse vallée.

Djasson renoue avec son métier d’agriculteur qu’il ne pouvait plus exercer depuis son départ, il y a cinq ans, de la Casamance, région sénégalaise en proie à un conflit pour l’indépendance depuis trois décennies. Il est l’un des “compagnons” d’une communauté Emmaüs paysanne mise sur pied par l’agriculteur Cédric Herrou et son association Défends ta citoyenneté. Depuis le 4 juillet, ce militant chevronné, devenu un symbole de l’aide aux migrants dans cette région frontalière de l’Italie, héberge six personnes, dont quatre demandeurs d’asile et un réfugié. “Un accueil inconditionnel”, précise l’exploitant, ajoutant que le nombre de personnes qu’il peut intégrer dans cette communauté est limité à 8. (...)

“On est pauvres matériellement mais riches humainement.” La petite communauté, dont chaque membre touche un pécule de 350 euros mensuels, cotise et paie des impôts, vit pour l’instant grâce à un fond de dotation de 250 000 euros.

Caravanes et cabanes en bois abritent chambres à coucher, douches et sanitaires. Les compagnons, tous chaussés des mêmes tongs noires, partagent leurs repas dans la cuisine aux murs et plafond tapissés de dessins faits par les anciens gens de passage. (...)

"J’entends prouver que ces personnes peuvent être actrices d’une vallée, d’un quartier, d’une ville, et qu’elles ont des choses à nous apporter, si l’accueil est bien fait".

Pour le militant, toujours sous le coup d’un procès pour aide aux migrants, le temps de l’accueil d’urgence est terminé. Quasiment plus personne ne passe la frontière italienne. Lui qui a hébergé 2 500 migrants en tout depuis 2016, et jusqu’à 250 personnes en même temps, a donc choisi désormais de se focaliser sur l’accueil longue durée en tirant des leçons de ses expériences passées. (...)

"Ils sont contents de montrer qu’ils savent faire des choses", indique Cédric Herrou. "Ça tourne même parfois à la compétition entre eux. Voire à l’excès de zèle. Ça trahit un besoin de reconnaissance." (...)

Ces trois dernières années, Jaffaru Atairu n’a guère eu l’occasion d’utiliser son savoir-faire et de se sentir utile. Il se remémore l’interminable route à travers le désert entre le Niger et la Libye, "une semaine à conduire nuit et jour”, l’horreur en Libye, où “pas un jour ne passait sans que quelqu’un meure", la traversée de la Méditerranée qui s’est soldée par le chavirement de son embarcation et son sauvetage, ainsi que les "2 ans et 7 mois" passés en Italie. Des années perdues.

"Ces gens-là, ça faisait des années qu’ils ne faisaient plus rien : même à manger, dans les camps de réfugiés, ils ne le font pas eux-mêmes. Il faut qu’ils réapprennent tout", explique Marion Gachet Dieuzeide, co-responsable de la communauté. "Alors, on fait en sorte qu’ils soient le plus autonomes possible." (...)

Dans sa cabane parfaitement rangée, Hossein ne tarit pas d’éloges sur Cédric Herrou, mais il dira bientôt au revoir à la communauté. Mi-août, il montera à Paris, où il a trouvé un hébergement. Ce sera sa deuxième tentative dans la capitale française. La première avait été "horrible". (...)

Emmaüs Roya n’est de toute façon qu’une transition. Au-dessus de la machine à laver, installée à même la terre, un panneau rappelle d’ailleurs à ceux sur le point de partir "à Paris" de ne pas oublier de laver leur couette. "Ce n’est pas un travail, ce n’est pas une fin en soit, c’est un passage", dit Cédric Herrou, qui encourage les compagnons à perfectionner leur français et à se former autant que possible tant qu’ils sont chez lui. "Le but ce n’est pas qu’ils restent, c’est qu’ils continuent sans nous. Et ils veulent participer au fonctionnement d’un pays qui les accueille, ils ne sont pas là à attendre une quelconque allocation. "

Pour la suite, Cédric Herrou voit plus grand : il cherche un nouveau terrain pour agrandir sa production et monter, pourquoi pas, "une sorte de resto", histoire de proposer un cadre dans lequel sa communauté serait davantage tournée vers l’extérieur. " (...)