
On imagine l’allégresse de l’historien Gabriel Gorodetsky quand il eut accès aux 1 500 pages de notes manuscrites rédigées par Ivan Maïsky, ambassadeur d’Union soviétique à Londres de 1932 à 1943. Tout concourait à rendre un tel document exceptionnel (...)
En multipliant les contacts, y compris avec la famille royale et les milieux financiers, Maïsky espère dissiper la méfiance entre les deux capitales, dont chacune soupçonne l’autre de vouloir la précipiter dans un conflit avec l’Allemagne. La scène évoquant la complicité « scandaleuse » qui se noue le 16 novembre 1937 entre Winston Churchill et l’ambassadeur de l’URSS rappelle assez par contraste que le choix de l’establishment britannique penche alors nettement du côté de l’Allemagne. L’année suivante, les accords de Munich, conclus lors d’une conférence européenne à laquelle l’Union soviétique ne fut pas même conviée, sembleront confirmer les soupçons de Moscou. Le retournement stratégique de l’URSS et le coup de tonnerre du pacte germano-soviétique en découlent.
Dans ses commentaires, rédigés avec la clarté qui distingue encore quelques-uns des meilleurs historiens, Gorodetsky rappelle que la terreur stalinienne décourageait tout responsable de trop écrire, à plus forte raison de rédiger un journal. Les carnets de Maïsky, qui viennent de paraître en anglais et sur lesquels il a travaillé pendant quinze ans, nous offrent un document d’autant plus précieux, à vrai dire unique. Celui d’un ambassadeur qui, même lorsqu’il redoutait d’être rappelé pour consultation, au risque d’être exécuté ou interné comme bon nombre de ses collègues (62 % des diplomates furent victimes de purges), chercha obstinément à concilier les intérêts de son pays et ceux d’une des principales capitales occidentales. En lisant son journal, on mesure que ce ne fut pas facile tous les jours... (...)