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Canicules mortelles en Inde et au Pakistan : ce n’est que le début
Article mis en ligne le 16 mai 2022

Canicules mortelles en Inde et au Pakistan : ce n’est que le début

Depuis plus d’un mois maintenant, l’Inde et le Pakistan subissent des vagues de chaleur à répétition. L’Inde a enregistré la pire canicule au mois de mars depuis 122 ans, le Pakistan a atteint 51°C le 14 mars, soit la température la plus élevée enregistrée pour l’année 2022.

Alors que plus d’un milliard de personnes sont concernées, cela n’a pas l’air de choquer grand monde en Occident, où la majorité des médias continuent d’adopter une posture Don’t Look up.

(...) Pis, lorsque ces canicules sont évoquées, c’est bien souvent avec des images de personnes s’amusant à la mer ou d’enfants courant dans des fontaines, tout sourire. Malheureusement, la réalité est tout autre et les conséquences sont d’ores et déjà catastrophiques.

Canicules en Inde et au Pakistan : que se passe-t-il ?

Qu’il fasse chaud en Inde n’a rien d’extraordinaire. Qu’il fasse très chaud et sur plusieurs semaines est une tout autre histoire. (...)

Rappelons que la définition d’une canicule change selon les pays, et les régions. L’IMD considère qu’une zone connaît une vague de chaleur si les températures maximales dépassent 40°C dans les régions de plaine, ou au moins 30°C dans les régions de montagne, pendant au moins deux jours consécutifs. (...)

Ces vagues de chaleur sont donc exceptionnelles pour deux raisons : leur intensité, mais aussi et surtout leur durée.

Une situation similaire au Pakistan

Les épisodes caniculaires sont tout aussi extraordinaires au Pakistan. Le mois d’avril a été extrêmement chaud et sec, le plus chaud depuis 61 ans. (...)

Les 12, 13 et 14 mai, la température a atteint 50 degrés à Jacobabad et des températures très proches à plusieurs endroits dans le pays. Lorsque l’on sait que dans le nord-ouest de l’Inde comme au Pakistan, la phase humide de la mousson n’arrive généralement pas avant fin juin ou mi-juillet, on ne peut qu’espérer que la température baisse dans les prochains jours… (...)

Conséquence 1 : le « thermomètre mouillé » (wet bulb temperature)

Le plus redouté n’est pas la chaleur indiquée, mais la température thermomètre mouillé maximale. Elle combine la chaleur et l’humidité pour indiquer la quantité d’évaporation dans l’air. Lorsque la température au thermomètre mouillé dépasse environ 30°C, nous sommes incapables de réduire notre température par la transpiration et nous souffrons d’un coup de chaleur mortel au bout de quelques heures (généralement entre 4 et 6 heures). Que vous ayez de l’eau avec vous ne changera rien au résultat. (...)

Bien sûr, ce qui vient d’être dit est le cas pour les personnes en bonne santé. Vous pouvez avoir de graves problèmes de santé ou mourir avec une température humide moins importante. En effet, 28 degrés peuvent suffire, comme lors des canicules européennes et russes de 2003 et 2010 qui firent des dizaines de milliers de morts. (...)

Conséquence 2 : le travail… et la santé

Le marché du travail indien est très loin d’être adapté aux aléas climatiques présents et à venir. (...)

travaillez, ou vous n’aurez pas d’argent pour acheter votre nourriture. Travaillez, ou mourrez. Ce sont dans ces conditions que des dizaines de millions d’indiens vont travailler dans les usines, dans le bâtiment, dans les champs, etc. Ils ne peuvent pas non plus compter sur la climatisation : environ 12% de la population a accès à la climatisation, en très grande majorité les plus aisés.

Deux conséquences majeures à cela. La première, c’est que l’Inde perd plus de 100 milliards d’heures de travail par an à cause des vagues de chaleur. C’est de très loin le pays le plus concerné par le sujet, et les chiffres anticipés par un réchauffement de +2°C ou +4°C sont vertigineux. (...)

La deuxième conséquence est bien sûr la santé des travailleurs et travailleuses. Quand vous êtes obligé(e) de travailler sous 45°C car vous n’avez pas le choix, cela vient irrémédiablement avec des effets sanitaires immédiats multiples : hyperthermie, coups de chaleur, déshydratation, diminution de la capacité cognitive, accidents, troubles psychiatriques, etc. Pour les personnes qui auront la chance de pouvoir aller à l’hôpital, il faudra ensuite espérer que les hôpitaux puissent anticiper et supporter le recours accru aux soins.

Conséquence 3 : l’agriculture (...)

L’agriculture est l’un des secteurs les plus directement touchés par les canicules et les sécheresses. 39% de la population pakistanaise travaille dans le secteur, pour 18.5% du PIB. En Inde, plus de la moitié de la population y travaille, pour environ 23% du PIB. Outre les conséquences que ces canicules peuvent avoir sur le PIB, ce sont surtout les effets sur les cultures qui sont à craindre, dans une région du monde où beaucoup dépendent de la récolte de blé pour se nourrir. Selon les témoignages, nous trouvons des agriculteurs qui ont perdu entre 10 et 50% de leur récolte à cause de la canicule.

Alors que les autorités indiennes avait déclaré lors du mois d’avril que le pays n’était pas au bord de l’insécurité alimentaire, le discours a totalement changé ce samedi 14 mai (...)

Des décennies de mondialisation n’ont pas préparé les pays à supporter les aléas climatiques et leurs conséquences. Que se passera-t-il si aucune décision n’est prise pour renforcer la sécurité alimentaire des pays et que le monde se réchauffe à +1.5°C, 2°C, voire 3°C ?
Conséquence 4 : relance de la production de charbon ou blackout

L’une des solutions les plus courantes pour supporter la chaleur de la canicule est d’allumer la climatisation. Mais cela n’est pas sans conséquences, surtout dans un pays comme l’Inde. Presque 80% du mix électrique vient d’énergies fossiles, et un peu plus de 70% du charbon. Les autorités n’ayant pas anticipé que les vagues de chaleur allaient durer aussi longtemps, la forte demande d’électricité a épuisé les stocks de charbon et les coupures de courant sont très fréquentes depuis deux mois dans le pays, parfois pour plusieurs heures. Nous ne parlons pas de quelques foyers, mais de deux tiers des foyers, soit des centaines de millions de personnes. (...)

Conséquence 5 : les effets combinés

L’un des risques identifié de la poursuite du réchauffement climatique, c’est que chaque région pourrait subir de façon différenciée plus d’évènements climatiques extrêmes, parfois combinés, et avec des conséquences multiples. (...)

Avec la canicule, les glaciers fondent beaucoup plus vite que prévu et peuvent mener à des effets en cascade. C’est ce qu’il s’est passé avec plusieurs ruptures de lacs glaciaires, dont celui qui était sur le glacier Shisper.
(...)

C’est une zone surveillée par les scientifiques car ces inondations brutales peuvent non seulement avoir des conséquences économiques et sociales, mais aussi mortelles, avec des milliers de personnes risquant d’être prises dans des crues.

L’une des autres conséquences est l’augmentation du nombre de mégafeux. (...)

Est-ce que c’est de la faute du changement climatique ?

La question qui revient toujours : est-ce la faute du changement climatique ? En lisant les réactions depuis plus d’un mois, la mauvaise nouvelle c’est qu’il y a des climatosceptiques dans tous les pays qui viennent vous expliquer que cela n’a rien à voir et que des canicules et des sécheresses, il y en a toujours eu.

L’équipe du World Weather Attribution (WWA) devrait rendre son rapport définitif dans les deux semaines pour savoir si les canicules sont bien la conséquence du changement climatique anthropique. Mais que cela soit attribué de façon certaine ou non, nous savons qu’il y a déjà un réchauffement climatique d’origine humaine qui rend les canicules plus fréquentes et plus intenses. Cela ne fait aucun doute, c’est documenté dans plusieurs rapports, dont le dernier rapport du GIEC.
A quel point ces canicules ont été mortelles ?

C’est la question la plus difficile qui soit sur le sujet des canicules : à quel point sont-elles mortelles. Tout d’abord, il est important de se rappeler que la météorologie d’une vague de chaleur ne détermine pas son impact. De nombreux facteurs socio-économiques influenceront les perturbations causées par une canicule, notamment la densité de population, les conditions de logement et les systèmes d’alerte précoce.

A l’instar de la canicule de 2003 en France, cela peut prendre des années avant d’avoir une estimation finale et fiable. (...)

L’Inde pourra-t-elle toujours s’adapter aux canicules à venir ?

Avant de conclure, il est intéressant de voir ce à quoi l’Inde peut s’attendre, en fonction du réchauffement mondial à venir.

Premièrement, l’Inde n’est qu’à +1 degré de réchauffement aujourd’hui (+1.1°C à l’échelle mondiale, +1.8°C pour la France). Sur la trajectoire actuelle de nos émissions (SSP2-4.5), l’Inde se dirige vers un réchauffement d’environ 3,5°C d’ici la fin du siècle, et environ +2°C d’ici 2040. (...)

Sauf miracle, la Terre va continuer à se réchauffer lors des (au moins) deux prochaines décennies. Dans la mesure où les canicules actuelles testent déjà les limites physiologiques des Indiens et Pakistanais, il sera important de suivre les décisions politiques d’atténuation et d’adaptation aux aléas climatiques. Les décisions prises aujourd’hui par les deux gouvernements ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Il est cependant important de se souvenir que l’Inde et le Pakistan payent les décisions égoïstes des pays du Nord, qui sont historiquement responsables du changement climatique. (...)

Le mot de la fin

On ne peut être plus clair que Christophe Cassou, auteur principal du dernier rapport du GIEC, lorsqu’il déclare que « nous vivons un avant-goût de notre futur climatique. Pour que l’exceptionnel ne devienne pas la norme, il faut réduire nos émissions de gaz a effet de serre de manière immédiate, soutenue dans le temps et dans tous les secteurs… Pas dans 3 ans, maintenant !« 

En plus de la baisse des émissions, l’adaptation jouera un rôle absolument central lors des prochaines années et décennies à venir. Il est trop tard pour penser que l’atténuation des émissions puisse suffire. Mais cela ne doit pas faire oublier le très fort sentiment d’injustice climatique de ce qui arrive actuellement en Inde et au Pakistan. (...)

J’aimerais conclure cet article par une question. Je n’ai pas l’impression qu’une majorité de Françaises et Français se rendent compte que nous sommes en train de rendre des régions du monde d’ores et déjà inhabitables, alors que nous ne sommes qu’à +1.1°C de réchauffement mondial. Voulez-vous vraiment voir à quoi ressemble un monde à +2°C ?