Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
Cancers et métaux lourds : une fois la mine fermée, la vie empoisonnée
Article mis en ligne le 11 janvier 2022
dernière modification le 10 janvier 2022

Dans les Cévennes, au pied de mines à l’arrêt depuis cinquante ans, des déchets chargés en métaux lourds polluent sols et rivières et intoxiquent les habitants. Voici l’histoire de leur combat et celle d’un État qui ne les entend pas.

Après des années de bons et loyaux services pour la CGT et la mairie d’Alès, à trente minutes de là, Michel Bourgeat pensait enfin pouvoir se reposer et cultiver son jardin.

La vie a suivi son cours jusqu’en 2012, date à laquelle les habitants de Saint-Félix-de-Pallières, de Tornac et de Thoiras ont appris des pouvoirs publics qu’ils vivaient dans une zone polluée. « Des gens d’une société sont venus faire des prélèvements. On leur a demandé pourquoi, mais ils ne pouvaient pas nous le dire, raconte Michel. Un an après, on a reçu une lettre de l’ARS [l’Agence régionale de santé] qui disait que j’habitais dans un endroit très fortement pollué et qu’il fallait que je me coupe les ongles à ras, que je nettoie les appuis de fenêtres, que j’enlève les moquettes au sol, que mes animaux ne devaient pas rentrer dans la maison… » Michel poursuit l’énumération, il connaît la liste par cœur. « Conseils sanitaires destinés aux personnes vivant sur ou à proximité de sols fortement concentrés en métaux et métalloïdes » : c’est le titre du courrier officiel de l’ARS Languedoc-Roussillon reçue par Michel et ses voisins. (...)

Dix ans plus tard, et alors que la mine de zinc et de plomb a beau avoir été fermée en 1971, ces polluants sont toujours là. Arsenic, plomb, zinc, cadmium, antimoine, cuivre hantent sols et eaux. Le petit village et ses alentours symbolisent les ratés de l’État dans la gestion de l’après-mine. Les années ont passéé et face à cette incurie et au scandale sanitaire, les médias ont déserté les lieux tandis que la lutte s’essoufflait. Une poignée de retraités, de saisonniers ou de personnes vivant en camion, accompagnée de quelques experts, se battent encore. (...)

À 85 ans, après un cancer de la prostate, Michel vient de se faire opérer d’un deuxième cancer de la peau. « Il semblerait que j’en ai encore un autre qui se pointe ailleurs », ajoute-t-il. Il vit seul avec Jaurès. Sa femme est morte. Elle a enchainé avant lui cancer du sein et mélanome. « Mon voisin de là-haut, les autres d’ici… c’est pareil. Dans toutes les familles, il y a des cancers. » (...)

Vingt-sept familles de la région, l’Association pour la dépollution des anciennes mines de la vieille montagne (ADAMVM) et Générations futures avaient porté plainte en 2016 auprès du pôle de santé publique du tribunal de grande instance de Marseille pour « mise en danger de la vie d’autrui, atteinte involontaire à l’intégrité physique, tromperie sur la marchandise entraînant un danger pour la santé de l’homme ou de l’animal » [1]. Une plainte classée sans suite (...)

Ce jugement est en contradiction directe avec tous les dossiers qu’il archive sur l’étagère de son bureau. Des études publiques comme celle de Geoderis (2019) [2] par exemple, qui démontre « une dégradation de l’état des milieux associée à la présence des anciennes activités minières et industrielles connexes (travaux et dépôts de matériaux). Cette dégradation a été caractérisée pour les milieux sols, végétaux de consommation, air ambiant, eaux superficielles et souterraines et enfin pour les sédiments. » Alors pourquoi la justice a-t-elle refusé un an plus tard de faire le lien entre les mines à l’arrêt depuis cinquante ans et la pollution locale ? (...)

« On n’a jamais vu une telle inaction de l’État ! » (...)

« Notre seule force c’est de persévérer »

En 2015, l’ARS a lancé un dépistage. Sur la base du volontariat, 650 personnes ont réalisé une analyse de sang pour relever les taux en plomb et des analyses d’urine pour l’arsenic et le cadmium. François Simon, président d’ADAMVM et médecin à la retraite, attendait avec impatience les résultats. « Pour le premier dépistage, 23 % des gens avaient des taux d’arsenic au-dessus des normes autorisées et 14 % avaient des taux supérieurs à la normale pour le cadmium. » Ces tests montrent alors qu’il y a une « imprégnation de la population ». La Direction générale de la santé a demandé ensuite à la Haute autorité de santé (HAS) de faire un groupe de travail d’experts sur l’arsenic (2018). François Simon y a participé. « Il est évident qu’il faut s’attendre à l’apparition de pathologies liées à ces polluants dans un avenir plus ou moins proche. » (...)

Un rapport [5] de la Haute autorité de santé rappelle qu’« en France, sont recensés à ce jour plus de 7 000 sites et sols pollués ou potentiellement pollués du fait d’activités industrielles anciennes (…) ou actuelles, appelant une action des pouvoirs publics à titre préventif ou curatif » (...)

Vivre en zone polluée, c’est se résigner ? « C’est un combat ! Je me suis bagarré toute ma vie, alors je continue ! Notre seule force, c’est de persévérer. Et puis, même si ce n’est pas moi qui gagne, y’en a d’autres qui gagneront derrière ! »