
Pour la quatrième année consécutive indique la Brigade Anti-Négrophobie (BAN), un des membres invités à la cérémonie officielle a été interdit d’accès par les forces de l’ordre. Le motif ? Son tee-shirt avec l’inscription “Brigade Anti-Négrophobie”.
Invisibiliser
Cette association, je l’ai suivie avec “L’Alliance noire citoyenne” durant une journée en juin 2011 pour un reportage*, à l’époque de “l’affaire des quotas de Noirs et d’Arabes” à la Fédération Française de Football révélée par Mediapart. (En deux mots, la FFF envisageait de limiter le nombre de footballeurs “blacks” et “beurs” parfois désignés comme des “étrangers” alors qu’ils sont Français, avec des remarques sur le physique “costaud” des joueurs noirs et “l’intelligence de jeu”. Cf la retranscription des propos dans l’article Mediapart.)
Ce matin de juin, peu après 8H30, Almamy Kanouté et Franco Lollia, les deux leaders, rassemblent leur groupe à la sortie du métro. Sous la pluie, Franco Lollia explique sereinement le déroulement de la journée “On ne fait pas de bruit, on ne crie pas, on est juste présents”. Arrivés devant le siège de la FFF, ils s’alignent, ouvrent leur veste pour les uns, tous arborent un tee-shirt “Brigade Anti-Négrophobie”. Les deux pères de famille, âgés d’un peu plus de trente ans, veulent que la FFF comprenne que ces propos sont inacceptables. Durant toute cette journée, un peu plus d’une dizaine de femmes et hommes noirs - et quelques uns d’origine maghrébine**, présents “par solidarité” - sont restés sous la pluie. Immobiles. Sans parapluie. Sans bruit. Je pose alors la question à Almamy Kanouté - que j’avais rencontré lorsque je travaillais sur les conditions d’incarcération en France (interview d’Amedy Coulibaly sur Mediapart) : “Vous n’avez pas de slogan ? Vous allez restez là, sans rien dire, toute la journée ?”
Sa réponse : “Notre simple présence en tant que Noirs dans l’espace public fait peur. C’est déjà quelque chose.” Cette présence, c’est “quelque chose” de notable. De remarquable. Il ne faut pas en faire plus, indique-t-il.
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Laurent Blanc les a finalement reçus 30 minutes. Pas d’excuses de sa part, mais il leur a dit qu’il comprenait, m’a alors indiqué Franco Lollia. Être reçus, entendus et écoutés, c’était déjà important disaient-ils. Un seul média s’y est intéressé alors que la révélation des propos avait durant plusieurs semaines fait la une - avec des propos encore plus racistes dans certains cas… Vers 17 ou 18h, le groupe s’est dispersé. Et j’ai appris que l’agent de sécurité noir, qui avait fait des allers-retours toute la journée pour surveiller le groupe, avait dit discrètement à Franco Lollia “Je suis fier de toi mon fils”… (...)
Hier, Franco Lollia*** était invité à la cérémonie officielle française de “la journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition” en présence notamment de François Hollande (on passera sur la teneur du discours…). L’accès lui a été refusé. À cause de son tee-shirt d’après cette vidéo postée avec ce commentaire sur leur compte Facebook “Cette année, comme chaque année depuis 2011, la brigade anti négrophobie a été arbitrairement expulsée par le bras armé de l’Etat (néo)colonial français du cérémonial censé commémorer le crime qu’il a commis contre notre humanité…”.
En 2013, Almamy Kanouté, élu de la République invité à la cérémonie, s’est retrouvé maintenu par la police, visage contre le sol, après que l’accès lui a été refusé. La parole est confisquée aux premier.e.s concerné.e.s. Leur présence déniée.
L’Histoire de France - de la traite négrière, de l’esclavage - continue d’être cachée, malmenée, réécrite, en dépit de son impact actuel : les concernés parlent de “continuum colonial” dans la façon dont ils sont traités. Quelques éléments sont brièvement rappelés ici : Quand la loi française faisait des esclaves noirs des meubles.
Franco Lollia est quant à lui à écouter ici à partir de la 29e minute sur la BAN (et “La Marche de la dignité”).
"Ce qui est fait pour nous sans nous est fait contre nous” disait Nelson Mandela, classé “terroriste” avec le Congrès national africain avant d’être érigé en héros par ceux-là même qui s’étaient élevé contre sa lutte. Franco Lollio et Almamy Kanouté sont engagés depuis plus de 10 ans pour que leur lutte ne se fasse pas sans eux. Que l’État français le veuille ou non. (...)