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Briançon : la forteresse s’étend
#exiles #frontiere #Briançon #solidarite
Article mis en ligne le 17 juin 2023
dernière modification le 16 juin 2023

Lorsqu’on descend vers Briançon après avoir franchi la frontière italienne, les abords de la ville s’annoncent par d’antiques forts militaires fichés dans la montagne. Tout un symbole. Entre traque et déni d’accueil, les nombreuses personnes exilées de passage ici font face à bien des murs, que tentent de briser les contingents de solidaires. Récit.

« Monsieur, ça ne sert à rien de supplier. Oui, la situation est absurde. Le Monsieur là [il me désigne] le sait, vous le savez et je le sais. Mais on ne vous renvoie pas en Afrique, juste de l’autre côté de la frontière. Vous reviendrez demain ». Menton carré, coupe ciselée, le gendarme à doudoune bleue qui s’adresse au jeune Ivoirien affalé à ses pieds prétend ne pas être un mauvais bougre. Il fait juste son job, dit-il à Gabriel* : « Je n’ai rien contre vous, mais il faut monter dans le véhicule pour que je vous ramène aux locaux de la Police aux frontières (PAF), d’où l’on vous renverra en Italie. »

Quinze minutes plus tôt, lui et son collègue surgissaient au détour d’un chemin pour stopper Gabriel et ses cinq camarades. Chargés de quelques sacs, au bout du rouleau, les quatre hommes et deux femmes se voyaient ramenés vers le véhicule de la gendarmerie stationné en bordure de l’un des lacets menant au col de Montgenèvre. Pile-poil l’endroit où une voiture de militants solidaires aurait dû les recueillir pour filer vers Briançon. Finalement, ce sera un algeco de la PAF de Montgenèvre, puis l’Italie.

Rageant. Tellement que Gabriel insiste. C’est sa quatrième tentative et il n’en peut plus, argumente-t-il, implorant pitié. Mais le flic est inflexible, si bien qu’il finit par grimper dans le fourgon, les larmes aux yeux. Le lendemain, je reçois ce SMS d’un solidaire : « Juste pour te dire que finalement les six Ivoiriens d’hier sont arrivés au refuge. » (...)

Âgé de 16 ans, ce Camerounais revient des urgences à la suite d’un franchissement de frontière qui lui a pris 18 heures. « J’étais en claquettes et chaussettes, lâche-t-il, je sens toujours pas mes pieds ». Au fil de la conversation, il raconte d’un air sombre le naufrage qu’il a vécu aux abords de Lampedusa, ou le racisme se déchaînant en Tunisie depuis les déclarations xénophobes du président Saïed2. Malgré tout, il reste confiant, explique qu’il lui a fallu seulement onze mois pour rejoindre la France alors qu’il est parti sans argent. « J’ai une bonne étoile ». (...)

Depuis qu’en 2016 certaines routes migratoires pour sortir de l’Italie se sont réorientées vers le Briançonnais, le bubon sécuritaire ne cesse d’y enfler : sur place, on trouve notamment un effectif de 140 gendarmes mobiles affectés à cette seule mission. En rotation, mal formés, ils patrouillent parfois en ville et participent d’une théâtralisation du contrôle migratoire, au même titre que les missions en motoneiges ou VTT électriques près de la frontière : il s’agit de montrer que l’État bande ses muscles. (...)

Michel est le cofondateur du collectif briançonnais Tous migrants, qui a sorti fin 2022 un édifiant rapport4 détaillant les multiples abus qui ont cours dans la zone, de l’entrave à l’accès aux soins à la violation du droit à la demande d’asile. Sans parler des interventions musclées. Le 9 mai 2018, le corps sans vie d’une jeune Nigériane nommée Blessing Matthew était retrouvé noyée dans la Durance, à quelques encablures de Briançon. Selon son compagnon de traversée, ils étaient pourchassés par des policiers qui n’ont rien fait pour la secourir5.

« Beaucoup de flics ont conscience de l’absurdité de leur boulot, mais ça n’empêche pas les abus, témoigne Mado, une des sept salariés du refuge. Un môme m’a raconté que l’un d’eux l’avait mis en joue pour l’empêcher de fuir. Il leur arrive aussi fréquemment de refouler des mineurs munis de papiers prouvant qu’ils devraient être accueillis. » (...)