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Boycott d’Orange : dérapages dans la communication israélienne
Article mis en ligne le 11 juin 2015

Une liste de plus de 1000 comptes Twitter avec un appel à les bloquer circule sur le réseau social Twitter depuis le 17 mai. Présenté comme une riposte à la campagne du mouvement Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS) autour d’Orange, le compte qui relaie la liste, illégale au regard du droit, a été popularisé par plusieurs membres de l’ambassade d’Israël en France. Enquête.

À l’origine, le compte du réseau Twitter @_OrangeSanguine se présentait comme un robot destiné à « faire taire les islamistes ». Après avoir arboré en photo de profil un logo « BDS » en référence au mouvement Boycott-Désinvestissement-Sanctions puis le drapeau de l’organisation État islamique barrés d’un sens interdit, il s’appelle désormais @Je_suis_Orange et a opté pour le logo d’Orange™.

Le dimanche 17 mai, à 13 h 39, ce compte publiait son premier tweet avec un lien : un appel à bloquer plus de 1000 comptes1 d’utilisateurs de Twitter, qualifiés de « salafistes », « islamistes » puis de « djihadistes français », « d’ennemis de la République » et de « déséquilibrés ». Qui se cache derrière ? Le journaliste Jean-March Manach a enquêté avec Orient XXI. Si le créateur du compte n’a pu être identifié, l’enquête révèle que ce sont des membres de l’ambassade israélienne en France qui ont été les premiers à relayer cette liste.(...)

La liste d’@_OrangeSanguine répertorie plusieurs comptes très majoritairement français, indiquant les noms et pseudos d’utilisateurs quasiment tous arabes, parmi lesquels des journalistes2 et blogueurs, l’ex-députée et sénatrice Alima Boumedine-Thierry, avec de nombreux comptes du mouvement BDS. Or la loi française interdit la constitution de tels fichiers faisant apparaître l’appartenance religieuse ou l’origine ethnique ou raciale réelle ou supposée d’individus. Orient XXI a épluché toute cette liste, il s’avère que certains tiennent des propos antisémites, ce qui rend encore plus grave d’y assimiler les autres membres.

Elad Ratson a expliqué à Jean-Marc Manach3 « qu’il a retweeté le message dès qu’il l’a vu passer, et que plusieurs comptes de l’ambassade sont paramétrés pour des retweets automatiques ». Interrogé pour savoir comment il s’est assuré de la pertinence de cette liste de plus de 1000 noms en moins de cinq minutes, il répond que « son travail consiste aussi à surveiller les islamistes en France, et que la liste comporte plusieurs des plus connus de France, certains liés à ISIS, supposant que l’auteur de la liste a dû se focaliser sur les origines islamiques de l’appel au boycott ». Or, en France, l’appel a été lancé par l’association BDS France, qui n’est pas islamique.(...)

La porte-parole de l’ambassade Michal Philosoph répond : « Ni l’ambassade ni Elad Ratson n’ont lancé cette campagne » et « il y a une campagne salafiste qui appelle au boycott, "OrangeSanguine", à laquelle nous nous opposons catégoriquement. La campagne "Jesuisorange" s’oppose au boycott et nous l’avons soutenue en la retweetant. » « Si vous déclarez que nous avons créé la liste, ce sera de la diffamation et du blasphème (sic) », menace-t-elle. Contacté, Orange précise :« Il ne s’agit pas d’un compte officiel. Nous ne savons pas qui est à l’initiative et bien évidemment nous ne le cautionnons pas. Nous avons engagé une procédure. »(...)

Le gouvernement israélien était déjà très inquiet de l’influence de BDS, mouvement à vocation internationale fondé en 2005 par 171 associations de la société civile palestinienne et appelant à boycotter les produits et institutions d’Israël. Le 6 mai, 5 ONG et 2 syndicats ont publié un rapport accusant la première entreprise française de télécommunications, Orange, de participer par l’intermédiaire de l’opérateur israélien Partner Communications Company Limited au maintien et au renforcement des colonies israéliennes illégales situées dans les territoires palestiniens occupés. « Dans ces colonies, Partner fait construire des infrastructures sur des terres palestiniennes confisquées et offre des services aux colons et à l’armée israélienne. L’entreprise tire profit des limitations imposées à l’économie palestinienne par les autorités israéliennes », est-il indiqué. La responsabilité de l’État français, actionnaire minoritaire principal (25 %), est également soulignée.(...)

La France, qui pourrait prochainement reconnaître l’État palestinien — ce qui aiderait Orange à se désengager — a déclaré être « très fermement opposée à toute forme de boycott ». En 2014 pourtant, le ministère des affaires étrangères avait mis en garde les entreprises français au sujet des risques juridiques et économiques liés aux activités dans les colonies. Face au tollé, Stéphane Richard a assuré que la décision de retirer sa marque de ce pays était « purement commerciale » et « n’avait absolument rien à voir avec un quelconque débat politique ». « Nous aimons Israël », se justifie-t-il. Avant de reculer encore sous la pression des gouvernements israéliens et français et d’annoncer que la rupture n’avait jamais été envisagée — il devra expliquer ses propos en Israël, à la demande de Nétanyahou qui a contacté Hollande.

Le mouvement BDS s’était félicité des premières déclarations de Richard. Plusieurs ministres israéliens ont eux aussi accusé la campagne pour une affaire avant tout commerciale : essentiel pour la stratégie marketing de Partner, ce contrat offrant également une visibilité au groupe français n’est pas rentable pour Orange, qui a tenté « de se retirer lors de renégociations ».(...)

Imen Habib, membre de BDS France depuis 2009, dénonce « le manque de cohérence » de la politique française sur le dossier israélo-palestinien. Laurent Fabius, avec 16 ministres des affaires étrangères de l’Union européenne, a écrit à Federica Mogherini, la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité le 16 avril 2015, pour lui demander d’accélérer la procédure d’étiquetage des produits des colonies. Israël parle ici aussi « de boycott ».

Habib note « une évolution positive pour BDS en France, malgré les attaques pour limiter la liberté d’expression — notamment par le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) et le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNCVA) — et la répression ». Plusieurs militants ont été poursuivis, rappelle Isabelle Avran de l’Associaton France Palestine Solidarité (AFPS),, qui rappelle : « Sous Sarkozy, Michèle Alliot-Marie a menacé de procès pour incitation à la haine raciale, via une circulaire aux Parquets, les propagateurs de la campagne BDS. » La situation est particulière en France, où par exemple des manifestations de soutien à Gaza ont été interdites par les autorités (aucune soutenant Israël ne l’a été) lors de la dernière offensive israélienne. Des manifestants ont écopé de peines de prison ferme8.

Mais les campagnes continueront assurent les deux militantes — avec la participation de juifs et d’Israéliens — car « le mouvement BDS ne vise qu’à faire appliquer le droit international ».