
Indubitablement, avec Vers la violence, Blandine Rinkel signe un des romans majeurs de cette rentrée littéraire sinon de ces dernières années. Dans un récit âpre, d’une formidable vigueur narrative, Rinkel dévoile l’histoire sans retour de la jeune Lou qui éprouve sa jeune existence au contact de Gérard, figure masculine d’un père qui oscille entre fureur sans conditions et quête inassouvie d’apaisement.
Rarement on aura lu un roman qui, après MeToo, interroge avec une telle vivacité et une telle acuité les représentations féminines et masculines, en éprouve les limites et trouve dans la littérature une troublante puissance d’intellection du social. Autant de raisons pour Diacritik d’aller à la rencontre de la romancière à l’occasion de la parution de ce roman déjà clef de notre contemporain. (...)
En quoi votre écriture tire sa force de l’oxymore que cet homme, magnétique, trou noir du récit, représente et que l’expression « monstre de joie » employée par Lou incarne ?
Il me semble qu’actuellement, la violence masculine est souvent traitée de manière univoque dans les médias. La norme (et elle est légitime) étant la condamnation sans appel. Seulement l’espace littéraire, celui du roman, ne concède rien à la norme. Et ce qui m’intéressait, avec ce livre, c’était d’édifier deux personnages, un homme et une femme, à la fois coupables et aimables. J’ai beaucoup retravaillé ce texte – comme aucun autre auparavant, et avec un fréquent sentiment d’impasse – pour trouver le juste mélange d’intransigeance et d’empathie, de sorte à construire une figure de père violent, sans pour autant en faire un bourreau. Et maintenant que le texte est achevé, je suis émue d’écouter des lectrices et lecteurs se disputer sur la figure de Gérard, sur sa généalogie dramatique, ne parvenant pas bien à trancher : faut-il le haïr, l’aimer, le fuir ou l’épauler cet homme ? Lou a-t-elle raison ou tort d’agir, à la fin du livre, comme elle agit ? Qui saura répondre à ça de manière ferme et définitive ? Qui aura cette prétention ? La littérature rebat les cartes de ce que l’on croyait tranché. C’est ça qui m’intéresse, en tous cas, quand je lis un livre. L’oxymore, oui. Le dilemme et son intensité. Le tragique de nos existences, des relations qu’on y tisse. (...)
On parle souvent de ce que les fils reçoivent de leurs pères, les filles de leurs mères, mais des héritages plus insoupçonnés sont là aussi, aux implications singulières. On dit rarement « tel père telle fille » — et pourtant. Dans mon roman, si Lou échappe à la fatalité familiale, c’est, paradoxalement, parce qu’elle a reçu, de cette même famille, le goût de la rupture et de la liberté. (...)