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Black History Month. De l’esclavage aux réparations
Mireille Fanon Mendès France Fondation Frantz Fanon Expert ONU, groupe de travail sur les personnes d’origine africaine
Article mis en ligne le 11 mars 2014
dernière modification le 10 mars 2014

Revenir sur le rôle et l’enjeu des réparations liées à la mise en esclavage et à la traite négrière oblige à analyser quelques faits qui se sont produits depuis les trois dernières années et à revenir sur la loi du 21 mai 2001.

En date du 5 février 2013, la Cour de cassation a annulé l’arrêt prononcé par la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Fort de France, en date du 30 juin 2011. Cet arrêt condamnait Huygues Despointes |1|, sur le fondement de la loi du 21 mai 2001, car il avait été établi qu’il avait commis le délit d’apologie de crime contre l’humanité. Il avait affirmé que « les historiens exagèrent un petit peu les problèmes. Ils parlent des mauvais côtés de l’esclavage, mais il y a les bons côtés aussi. C’est là où je ne suis pas d’accord avec eux ; il y a des colons qui étaient très humains avec leurs esclaves, qui les ont affranchis… » (…) quand je vois des familles métissées, enfin blancs et noirs, les enfants sortent de couleurs différentes, il n’y a pas d’harmonie. Il y en a qui sortent avec des cheveux comme moi, il y en a d’autres qui sortent avec des cheveux crépus dans la même famille avec des couleurs de peau différentes, moi, je ne trouve pas ça bien. On a voulu préserver la race |2| ».

Cet arrêt a été cassé pour la bonne et simple raison que la cour d’appel n’avait pas pris à sa juste mesure le principe de la loi du 21 mai 2001 ; selon la cour de cassation « …si cette loi tend à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, une telle disposition législative ayant pour seul objet de reconnaître une infraction de cette nature ne saurait être revêtue de la portée normative attachée à la loi et caractériser l’un des éléments constitutifs du délit d’apologie ». En définitive, cette loi n’a aucune valeur normative.

Mais il n’en demeure pas moins que des propos racistes ont été prononcés ! Qu’en est-il alors de leur traitement par la justice et qu’en est-il de l’applicabilité des lois |3| ? (...)

Presque deux siècles après l’abolition de l’esclavage, les stéréotypes négatifs ont la vie dure et n’ont pas permis de changer durablement le paradigme racial sur lequel s’est organisée et s’organise encore la vie de millions de personnes sur différents continents dont celui de l’Afrique à coup d’inégalités sociales, économiques, culturelles, environnementales politiques et y compris dans les relations internationales.

On pourrait objecter à l’argument concernant l’absence des protagonistes directs qui ont disparu qu’il est assez facile de retracer sur quoi s’est constituée la fortune de certaines familles, de certaines banques ou entreprises |9|. Il suffit d’ouvrir les archives et de les rendre accessibles comme cela fut le cas pour les Mau Mau.

Ainsi, c’est bien sur la base de documents disponibles qu’il a été possible de dégager un tableau très complet de ce qui s’est passé dans les cercles gouvernementaux et politiques à Londres et au Kenya durant la loi d’urgence |10|, ce qui a permis à un juge de la Haute Cour de Londres de déclarer, le 5 octobre 2012, qu’au regard des témoignages des victimes |11|
et à la lecture des archives un procès équitable restait possible. Il a eu lieu, suite à des négociations la communauté Mau Mau sera indemnisée des dommages causés par la répression colonialiste.

Il est plus que temps que les archives de tous les acteurs de la traite négrière et de la mise en esclavage soient mises à disposition tout aussi bien des historiens, des chercheurs que des organisations travaillant sur cette problématique afin qu’une autre histoire soit écrite, racontée et enseignée et qu’à la reconnaissance soit associée la justice.

Ce sera l’occasion de déconstruire les tentatives de réécriture de cette période terrible dont les Occidentaux ont été les principaux acteurs. (...)

Les réparations renvoient à des questions interrogeant entre autres la perception racialisée d’une partie de population française. Les personnes d’origine africaine –cela est vrai sur l’ensemble des continents- sont victimes d’un manque de respect car identifiées selon l’idée qu’elles appartiendraient à une « race différente et forcément inférieure ». Cela fonctionne au plan individuel et indissociablement au plan institutionnel, via la mise en place de redistribution de ressources matérielles et symboliques selon les lignes raciales.

Dès lors, force est de reconnaître que les races, dans les sociétés contemporaines, sont réelles ; la catégorisation raciale existe et entraîne une stigmatisation, une domination et une perpétuation des inégalités sociales, économiques, culturelles et politiques en défaveur des minorités dites raciales, sans obérer le fait que s’installe entre les minorités racialisées la mise en place d’une différenciation fonctionnant sur les mêmes bases que le racisme dont elles sont victimes.

Cela force à penser la nature et les formes que doivent prendre des politiques de reconnaissance –au niveau aussi bien étatique que social- qui ne soient pas des politiques d’identité mais des politiques de parité.

La traite négrière, la mise en esclavage obligent aussi à s’interroger sur la légitimité des réparations. Pour certains, elles devraient être financières et individuelles, pour d’autres elles devaient être de nature politique et se traduire entre autres dans des relations internationales égalitaires entre les pays anciennement colonisés et colonisateurs. (...)

Les puissances capitalistes doivent payer sous différentes formes, entre autres en assurant la réalisation du droit au développement, tel que défini par la Déclaration sur le droit au développement de 1986 |20|. Il prône un modèle de développement fondé sur un système économique, commercial et financier alternatif garantissant une plus grande équité au niveau international. Il est évident que, dans ce cas de figure, le droit au développement devient un droit fondamental du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; il s’ensuit que les gouvernements, les composantes de la société internationale -institutions financières internationales et autres- de même que les individus et groupe d’individus, ont obligation de soutenir les politiques qui favorisent le développement. Dès lors, les droits énoncés dans la Déclaration de 1986 ne peuvent être ni aliénés ni amputés ni supplantés. Au niveau des relations internationales, cela a pour conséquence d’appliquer un des éléments fondateur de la Charte des Nations unies qu’est le principe de non-discrimination entre nations grandes ou petites, avec son corollaire l’égalité.

Cela suppose de la part des pays anciennement colonisés de ne pas accepter la charité ou la mise en place d’accords bilatéraux qui visent à les maintenir dans un état de soumission et à remettre, par exemple l’ensemble de leurs ressources naturelles entre les mains de transnationales sans aucune redistribution pour les peuples. Cela suppose qu’ils assument entièrement leur souveraineté et qu’ils mettent en place des politiques de développement national appropriées à leur spécificité afin d’améliorer les conditions d’existence de l’ensemble des populations et de chacun des individus. (...)