
La barbarie nazie peut-elle ressurgir au sein de notre modernité ? Oui, selon Johann Chapoutot, sous la forme amène du management, dont l’un des théoriciens influents était un ancien technocrate du nazisme. Mais peut-on passer de l’étude d’un cas à une thèse aussi globale ?
Associer dans une même réflexion « nazisme » et « management » est une entreprise périlleuse, tant ces termes exacerbent les passions, au détriment parfois de la qualité de l’analyse. C’est l’exploit du petit ouvrage de Johann Chapoutot que de traiter avec subtilité les compossibilités entre un XXe siècle où émerge l’idéologie managériale, et l’interrogation toujours vivante des conditions de possibilité de la barbarie nazie au sein de notre modernité.
L’historien précise d’emblée que « le management a une histoire qui commence bien avant le nazisme » (p. 16) et que son livre ne prétend pas résumer l’histoire du management, ni celle du nazisme. Il veut étudier le « moment managérial » dont le IIIe Reich fait partie, en passant par une biographie, celle de l’intellectuel technocrate Reinhart Höhn.
Ce faisant, Chapoutot poursuit une œuvre, en dialogue avec de nombreux universitaires
, cherchant à comprendre, au travers du nazisme, la continuité de la modernité du XXe siècle. Après le droit et l’art, son nouvel ouvrage veut permettre de relire l’histoire du nazisme sous d’autres formes qui inclut l’idéologie managériale.
Le personnage de Reinhart Höhn, professeur de droit, permet à Chapoutot de porter l’analyse au-delà de 1945 et de ne pas s’arrête à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Höhn entre au SD (Sicherheitsdienst, « service de sécurité ») en 1932, un an avant d’adhérer au parti nazi, puis rejoint la SS en 1934 et devient le premier adjoint de Reinhard Heydrich. Il dirige entre 1941 et 1943 la revue Empire, ordre social, espace vital (Reich, Volksordnung, Lebensraum), rattaché au NDSAP, le ministère des affaires étrangères et la wehrmacht, s’imposant comme spécialiste de l’organisation administrative souhaitable du futur Grand Espace (Grossraum), qui met au cœur les questions de « gouvernement des hommes » (Menschenführung). Son infatigable travail intellectuel lui permet de devenir haut fonctionnaire et de terminer en 1944 au poste de général (oberfürher).
L’intérêt de l’ouvrage est de redécouvrir le même personnage, dont le passé nazi est occulté, comme fondateur d’une des plus prestigieuses business school d’Allemagne de l’Ouest, qu’il fonde en 1956 à Bad Harzburg. Il y forme une large partie de l’élite économique du pays aux nouvelles méthodes de management. Comme dans bien d’autres pays, les méthodes sont adaptées à la culture locale, en l’occurrence allemande (...)