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« Avec la sortie de “J’accuse”, la digue entre l’homme et l’artiste se lézarde »
Article mis en ligne le 15 novembre 2019

Les débats autour du film de Polanski, accusé d’abus sexuels par six femmes, montrent que, dans le contexte de l’après-#metoo, la distinction classique entre une œuvre et son auteur est de plus en plus fragile, estime dans sa chronique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».

Alors faut-il aller voir J’accuse, de Roman Polanski ? En général, la question est posée entre amis pour savoir si le film est bon. Là, c’est pour savoir s’il est « moral ». Car son auteur, en quarante ans, a été accusé d’abus sexuels par six femmes. La dernière est une ancienne photographe, Valentine Monnier, qui a affirmé au Parisien, cinq jours avant la sortie de J’accuse, que Polanski l’a rouée de coups et violée en 1975, alors qu’elle avait 18 ans et lui 45, dans son chalet suisse – le cinéaste nie. C’était deux ans avant d’avoir drogué, violé et sodomisé Samantha Geimer, une Californienne de 13 ans. (...)

Voir le film ou pas, c’est savoir s’il faut distinguer l’homme de l’artiste, comme on dit. Il existe une littérature folle sur le sujet, qui pourrait faire un sujet au bac, qui se pose depuis que l’art existe, et vise à passer au crible pléthore de créateurs, souvent pas les plus mauvais. En France, royaume de la liberté de création, l’œuvre a une aura qui en fait un objet à part, à condition bien sûr qu’elle soit autorisée, ce qui est le cas du film de Polanski. Autrement dit, si un cinéaste est mis sur la place publique, à chacun de décider ce qu’il veut faire de son œuvre. (...)

Mais dans le contexte de l’après-#metoo, du témoignage de l’actrice Adèle Haenel, de celui de Valentine Monnier, la digue entre l’homme et l’artiste se lézarde. C’est flagrant pour Polanski, qui est toujours un fugitif pour les Etats-Unis. (...)

une quarantaine de féministes, le 12 novembre, ont réussi à faire annuler une projection au cinéma Le Champo, à Paris. Elles criaient : « Polanski violeur, cinémas coupables, public complice. » C’est toute la chaîne du film, du producteur à la salle, en passant par les acteurs, qui est culpabilisée. Le public aussi. La militante féministe Chloé Madesta déclare qu’« acheter une place pour J’accuse est un geste qu’on considère comme criminel ». Le hashtag #boycottpolanski surgit sur les réseaux sociaux. La sénatrice PS Laurence Rossignol est sur cette position. La secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, confie qu’elle n’ira pas voir J’accuse. Mais Coralie Miller, porte-parole d’Osez le féminisme !, en pointe dans le combat contre Polanski, qualifie pourtant le film de « nécessaire ».