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Audition du 17 mai au procès des attentats du 13 novembre
/Cédric Maurin, Prof Histoire-Géographie en lycée, Doctorant à Lettres Sorbonne
Article mis en ligne le 20 mai 2022

Le procès réactive beaucoup de choses, me ramène 6 ans en arrière, alors que justement pendant 6 ans j’ai tout fait pour laisser cela dans mon dos. Je voulais venir à cette barre pour porter un message de force et de vie, dire aux terroristes, quels qu’ils soient, qu’ils ont perdu avant même d’exister.

(...)
Monsieur le Président, Mesdames et Monsieur de la cour,

Avant de vous livrer mon témoignage sur mon 13 novembre j’aimerais tout d’abord donc poser quelques propos liminaires. Ainsi j’aimerais dire avec force à quel point les parties civiles qui sont venues témoigner pendant 5 semaines, m’ont impressionné et à quel point je suis fier d’elles. Je ne me suis pas inscrit dans une des associations et j’ai eu un parcours de reconstruction assez solitaire alors j’ai découvert toutes ces personnes lors de ce procès. Elles ont toutes mon affection et mon amitié. Ces personnes ont fait preuve d’une force, d’un courage, d’une humanité, d’une abnégation, d’une franchise, d’une dignité extraordinaires et qui force le respect. Dans leur diversité et leur singularité chaque partie civile est venue décrire l’innommable, remettre l’humain, dans ce qu’il a de plus profond, de plus fort et de plus beau, au milieu de l’horreur. Ces témoignages m’ont bouleversé. Ce n’était pas de l’émotion pour de l’émotion, mais je crois qu’en se confrontant à leurs propos, il y a eu quelque chose de vraiment cathartique. On en sort changé et je crois grandi.

J’ai été particulièrement sensible aux paroles des parents endeuillés, à double titre car j’ai perdu ma fille, Milo, née prématurée, en novembre 2020, des suites de plusieurs erreurs médicales, alors comme rescapé du Bataclan et père endeuillé, j’ai compris ce que ces personnes sont venues nous dire et que personne ne peut réellement comprendre sans l’avoir vécu. Après cela on ne peut plus rester la même personne, j’ai laissé un bout de moi au Bataclan, un autre repose au fond de la tombe de ma fille.

Pour en revenir aux témoignages des parties civiles, ils étaient absolument indispensables et un des grands enjeux du procès selon moi : rendre visible pour la société les blessures, les combats des athlètes du deuil pour reprendre l’expression d’Aurélie ou athlète de la reconstruction : deuil pour les proches qui ont perdu quelqu’un et deuil d’une partie de soi pour les rescapés.

Pour la société civile, 2015 c’est loin, de l’eau a passé sous les ponts, d’autres actualités dramatiques ont chassé cette soirée du 13 novembre 2015 mais pour nous victimes directes et indirectes c’est ancré dans nos têtes, dans nos corps et il faut faire avec, au mieux.

On nous a assez souvent répété à nous, parties civiles, que c’était pas notre procès mais celui des accusés, on leur a consacré des mois et des mois d’attention (j’y reviendrai), je trouve que cette session bis de témoignages des parties civiles, qui arrive juste avant les plaidoiries, tombe à pic pour rappeler ce qu’a été cette soirée-là et ses conséquences.

J’en viens à ma soirée du 13 novembre. (...)