
(...) En se fondant sur l’enquête TeO (« Trajectoires et origines »), menée en 2008 et 2009 par l’INED et l’Insee, Patrick Simon et Vincent Tiberj viennent de montrer que le sentiment d’appartenance à la nation progressait fortement chez les immigrés arrivés jeunes en France, et plus encore dans la seconde génération. S’ils éprouvent le sentiment d’appartenir à une minorité, ce n’est pas, dans leur immense majorité, par repli identitaire, mais parce qu’ils ressentent vivement le fait d’être désignés comme tels. Cette étude éclaire les résultats de l’enquête menée en 2005 par le Cevipof (Sciences Po) auprès des immigrés et enfants d’immigrés ayant acquis la nationalité française. Chez eux, un mouvement de réislamisation apparaît nettement dans les jeunes générations, avec une moindre ouverture envers les mariages mixtes alors que, globalement, ils affichent un loyalisme très fort à l’égard de la nation ainsi qu’une valorisation de l’esprit d’entreprise. Cela dit, si en 2005, ces jeunes s’inscrivaient peu sur les listes électorales, une enquête Cevipof de 2011 montre que la tendance s’inverse. Les musulmans représentaient 5 % de l’électorat en 2007, contre 0,7 % en 1997. Ils se disent plutôt orientés à gauche, puisqu’ils ont voté largement, à plus de 90 %, pour Ségolène Royal au deuxième tour...
(...) J’entends (c’est un leitmotiv de l’extrême droite aux Pays-Bas et certains le répètent en France) qu’il n’existerait pas d’« islam modéré ». L’islam serait radical par nature. A ce compte-là, qu’est-ce qui empêcherait d’en dire autant du judaïsme, de l’évangélisme ou du catholicisme triomphant avant son ralliement à la République, sous Léon XIII ? Au XIXe siècle, l’argumentaire antirépublicain de l’Eglise catholique était d’une violence inouïe : la République laïque était le mal absolu, et la société « moderne », l’oeuvre de Satan. L’interprétation actuelle consistant à rabattre l’islam sur le fondamentalisme repose elle-même sur une lecture fondamentaliste des textes sacrés. (...)
Après les tueries, Nicolas Sarkozy appelle à l’unité nationale. Mais, début mars, il déclarait sur France 2 : « Il y a trop d’étrangers sur notre territoire. » Que penser de cette formule ?
Elle révèle une pensée très manichéenne. En France, il y a donc les Français et les étrangers. Eux et nous. Mais qui désigne-t-il par « étranger » ? Tous les travailleurs immigrés, y compris les Français d’origine immigrée, soit 5,2 millions de personnes, en comptant les Européens ? Ou veut-il dire les 200 000 immigrés légaux non-européens, qui viennent travailler en France, ou s’y rendent par regroupement familial ? Inclut-il les secondes générations de l’immigration, nées en France ? Ou parle-t-il des clandestins ? On comprend mal que l’homme chargé de l’unité nationale manie les concepts de base avec une telle légèreté. (...)
Il n’existe aucun critère objectif permettant de définir le seuil du « trop d’étrangers ». La population de la France compte environ 5 % d’étrangers. En Allemagne, c’est 9 %, en Espagne 12 %, au Luxembourg 43 %. Où est le « trop », le « trop peu », le « juste ce qu’il faut » ?
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La plupart des pays sont convaincus de recevoir plus de migrants que les pays voisins, ce qui est évidemment impossible. L’affirmation « il y a trop d’étrangers » vaut uniquement par la force de son simplisme. Elle a la puissance d’une tautologie (« trop, c’est trop »). (...)
Un chiffre très commenté est celui des entrées légales de migrants non-européens : près de 200 000 par an. Est-ce beaucoup ?
Claude Guéant a coutume de dire : c’est la ville de Rennes ! Mais il naît chaque année en France l’équivalent de Marseille, il meurt l’équivalent de Lyon, et le nombre annuel de nouveaux cas d’Alzheimer équivaut à la ville de Lille. Ces analogies n’ont aucun sens (...)
Aucun critère objectif ne définit le seuil de « trop d’étrangers » (...)