
La crise sanitaire actuelle, qui impose à notre pays un arrêt forcé, est l’occasion de réfléchir aux raisons qui nous ont amené·es là, et surtout à ce que nous voulons pour notre société. Notre santé est largement tributaire de notre qualité de vie. Lorsque des choix politiques la détériorent, c’est tout le système de soin qui est débordé.
Le système de soin français, réputé pour être l’un des meilleurs du monde, est en crise par un manque cruel de moyens et en effectifs de personnels hospitaliers. La « gouvernance » hospitalière et celle des Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) ont eu raison de la marge de manœuvre de notre système de soin.
Depuis plus de 30 ans, les gouvernements successifs ont substitué, à une logique de qualité de soins, une logique comptable créant de multiples « couches » administratives – gestionnaires, « bed managers », tarification à l’acte, transformation de l’usager en client –, imposant des restrictions budgétaires sous une double contrainte : produire davantage de soins avec moins de moyens. Ces objectifs irréalistes ont provoqué sur l’ensemble du territoire français la suppression de 100 000 lits.
Dans le même temps, les directeurs et directrices sont poussé·es à une réorganisation et une optimisation du fonctionnement, allant jusqu’à mettre en concurrence les centres de soin d’une part, et les services d’un même établissement d’autre part. La gestion du patient/client entre dans une logique du Souffrir-Traiter-Circuler(2), résumant la notion de flux tendu des services d’urgence et des lits d’aval. Le fameux virage ambulatoire qu’on nous présente comme LA solution réduit encore davantage les missions de soin de l’hôpital public.
Ajoutons à cela une analyse aveugle par nos gouvernant·es de la situation sanitaire en France, qui en dehors de toute crise met déjà le système de soin en grande difficulté et le rend saturé à la moindre convulsion, et l’on comprend pourquoi l’Hôpital crie dans le désert depuis plus de 18 mois. Il faut donc cette pandémie pour réaliser que nous n’avons pas de stock, pas de protections pour les soignant·es ni de masques pour la population et les salarié·es des entreprises qui doivent coûte que coûte continuer leurs missions d’intérêt général, pas de marge de manœuvre, pas assez de lits de réanimation(3), de respirateurs, et peut être même pas assez d’oxygène ou de médicaments notamment de réanimation dans un avenir à court terme.
Heureusement, le personnel soignant médical et paramédical, ainsi qu’administratif et technique, porte l’engagement citoyen de la mission de service public fondée sur les valeurs de solidarité entre générations et d’aide à l’égard des plus nécessiteuses et nécessiteux. (...)
Pour ses besoins de communication qui visent à masquer sa négligence, le gouvernement nous place devant une débauche de moyens en personnels mis à disposition pour des transferts en train, avions et hélicoptères sanitaires. Il aurait été plus avisé, notamment à Paris compte tenu du manque dramatique d’infrastructures, de ré-ouvrir les hôpitaux du Val de Grâce et de l’Hôtel Dieu récemment fermés, pour accueillir des patient·es qui en ont tant besoin. Il eut été plus judicieux de faire venir du personnel mis en réserve dans les régions faiblement touchées pour venir en aide à ces zones fortement contaminées.
Mais tout cela n’est-il pas la preuve éclatante d’une incurie de l’exécutif dans la gestion de cette crise ? (...)
Dans l’immédiat, que demandons-nous ?
L’hôpital est exsangue, et rien ne sera possible sans reconsidérer la dette qu’il a contractée sous l’obligation faite par plusieurs gouvernements successifs depuis des décennies par leurs méthodes de gestions privées appliquées à l’hôpital public. (...)
Il faut donc arrêter la destructions de lits, rendre attractive la carrière du personnel hospitalier du Service Public, en proposant des rémunérations sérieuses et en ré-instaurant un véritable esprit d’équipe et de confiance au sein de l’Hôpital, et non de concurrence et de défiance.
Les équipes soignantes, très sollicitées dans les services impactés par le coronavirus, ne doivent pas faire l’objet de sanctions quand elles dénoncent des dysfonctionnements mettant en danger leur sécurité ou celle des patient·es dont elles ont la charge. Les messages paradoxaux tenus par l’exécutif, et l’affirmation des décisions gouvernementales sans qu’il soit possible de les remettre en question, ont développé un autoritarisme qui ne saurait se justifier du fait même de la crise sanitaire. (...)
Aussi, il apparaît du devoir de l’État de socialiser toutes les forces industrielles nécessaires à la résolution de la crise sanitaire. (...)
Au-delà du système de soin et des activités de première nécessité (alimentation, aide à la personne, service public de gestion des déchets et de traitement des eaux usées, production énergétique minimale), il n’est pas raisonnable de maintenir en activité des entreprises non indispensables au fonctionnement réduit de la société. Ne pas mettre en veille ces activités industrielles et commerciales est irresponsable, car expose les salarié·es et le public à toujours plus d’interactions sociales vectrices de contamination virale massive.
N’est-il pas plus essentiel d’apporter une subvention conséquente à notre système de soin plutôt que de voir la BCE (Banque Centrale Européenne) contribuer à hauteur de 750 milliards d’euros à prévenir un effondrement des marchés financiers ?
Et il est indécent de continuer à verser des dividendes aux actionnaires des grandes sociétés du CAC 40, alors que ces sommes considérables pourraient aider le système public de santé à répondre aux enjeux de cette crise(6).
En complément du soin, la santé repose sur la qualité de vie
Suite aux prescriptions urgentes précédentes, il est indispensable de reconsidérer l’entièreté du système de santé français. Celui-ci inclut le système de soin, et s’étend à la prévention et l’information, l’entretien physique et psychique, l’alimentation, la qualité de vie dans un environnement sain.
Évidemment, il faut revenir sur les suppressions de lits dans les hôpitaux, et y améliorer les conditions de travail : diminution du temps de travail, création massive d’emplois, augmentation des salaires pour tous.tes, y compris certaines professions fonctionnant actuellement en sous traitance(7) et qu’il convient de réintégrer au personnel de l’hôpital. Il s’agit de rouvrir les hôpitaux de proximité, les maternités et centres IVG fermés durant les années de politique austéritaire, ainsi que de développer des centres de santé. (...)
, il est nécessaire de revenir aux principes qui ont prévalu à la création du régime général par Ambroise Croizat :
– Financement par la cotisation, à taux unique, prélevée sur la valeur ajoutée des entreprises
– Gestion par les ayants droits (soignants et soignés) puisqu’il s’agit de salaires cotisés
– Suppression des financements par l’impôt (CSG)
– Prise en compte des évolutions technologiques médicales, afin de calculer le taux de cotisation nécessaire.
Sur ce même principe, comme il s’est appliqué à la création des CHU (1958), le financement de la recherche fondamentale doit être revalorisée, puisqu’elle contribue pleinement à l’anticipation de crises à venir.
Les études médicales doivent revoir leur finalité, l’apprentissage par compagnonnage doit être renforcé afin de reconnecter les futur·es praticien·nes avec la réalité de terrain, l’accent doit être mis sur la prévention, domaine où nous sommes très en retard, malgré l’engagement de notre pays sur la Charte d’Ottawa en 1986. (...)
Les politiques de Santé doivent s’interconnecter avec les domaines de l’Écologie et de l’Économie, de l’Agriculture et Agroforesterie. Car doivent enfin être pris en considération les coûts de la « malbouffe », de l’usage des pesticides et des énergies fossiles pourvoyeusLes politiques de Santé doivent s’interconnecter avec les domaines de l’Écologie et de l’Économie, de l’Agriculture et Agroforesterie. Car doivent enfin être pris en considération les coûts de la « malbouffe », de l’usage des pesticides et des énergies fossiles pourvoyeuses de particules fines et d’irritation chronique des voies respiratoires, et les conséquences de la déforestation sur les habitats de la faune sauvage qui favorise l’émergence de zoonoses(8).
Il y a là matière à diminuer drastiquement le risque de récidive de crises comme celle que nous vivons et, par là même, à réduire profondément les sommes allouées à la réparation de notre système de santé.
À cette fin, nous pourrions envisager la mise en place d’une branche du régime général en complément de celles existantes : la sécurité sociale de l’alimentation (...)
Nous nous inscrivons ainsi dans la démarche de la pétition “Plus jamais ça. Le jour d’après” lancée par des ONG écologistes et des syndicats et d’autres(10).
La crise sanitaire actuelle et ses liens étroits avec l’écologie apparaissent révélateurs de l’impéritie du système actuel. On peut, dès lors, craindre une situation identique si d’autres crises surviennent comme, par exemple, dans le domaine de l’approvisionnement alimentaire, la production d’énergie nucléaire ou la gestion des déchets ménagers et industriels.
Il est donc nécessaire et urgent de repenser notre société, en revalorisant la place que l’on donne au Social, à la Solidarité et aux activités de première nécessité et à toutes celles qui élèvent notre degré de civilisation. (...)
Ceci représente un choix de virage sociétal majeur, qui suppose de reconsidérer notre mode de vie consumériste, mais également de créer de nouvelles institutions démocratiques, dont des institutions d’initiative et de contrôle citoyen privilégiant, non pas la concurrence et l’individualisme, mais l’intérêt collectif et des valeurs de solidarité. (...)