
Le 2 décembre 2019, pour la Journée de l’abolition de l’esclavage, la ville de Bordeaux a inauguré une sculpture "mémorielle" et des plaques explicatives pour les rues qui portent les noms de personnes ayant pratiqué la traite. Au XVIIIe siècle, son port fut l’un des principaux points dans l’Hexagone du trafic triangulaire.
La statue, en forme d’arbre, est signée de l’artiste réunionnaise Sandrine Plante-Rougeol. Elle a été inaugurée dans les jardins de l’Hôtel de ville par le maire LR, Nicolas Florian. "N’oublions jamais nos racines, (...) et ceux qui ont vécu cette terrible épreuve de l’esclavage", a déclaré ce dernier à cette occasion. Descendante d’esclaves, l’artiste a salué le geste de la cité bordelaise, "courageux et engagé, car il y a encore des blessures profondes qui sont là". Cette statue est la troisième du genre à être installée à Bordeaux. La première, représentant Toussaint Louverture, chef de la révolution haïtienne au début du XIXe siècle et donnée par Haïti, avait été érigée en 2005 dans le Parc des berges de la Bastide. La seconde l’avait été en mai 2019 sur les quais de Garonne.
Depuis une quinzaine d’années, la ville a entamé un travail mémoriel sur son passé négrier.
Aujourd’hui, plusieurs salles du musée d’Aquitaine sont consacrées à cette période de l’Histoire. Dans le même temps, des plaques explicatives devraient être installées dans six rues de la ville portant des noms de négriers, anciens armateurs ou propriétaires de plantations. Mais le nombre de ces rues est apparemment plus important : selon les sources, il y en aurait ainsi une quinzaine ou une vingtaine. (...)
Certains souhaiteraient les débaptiser. "Nous avons comme cela à Bordeaux 22 rues qui honorent ces gens ayant commis des crimes contre l’humanité. Est ce que vous accepteriez une rue Goebbels, Hitler ?", déclarait ainsi à l’AFP en 2014 Karfa Diallo, de la Fondation du Mémorial de la traite des Noirs. Pour l’adjoint au maire chargé de l’égalité, la citoyenneté et la lutte contre les discrimination, Marik Fetouh, débaptiser ces rues est "trop complexe" et il ne faut pas "stigmatiser les descendants" de certaines familles. (...)
Bordeaux et son port ont participé de façon importante au système du commerce triangulaire. En l’occurrence la capture d’esclaves en Afrique (échangés contre du vin, de la farine, de l’huile, des armes, de la verroterie...), leur déportation aux Amériques, le transport des produits tropicaux ramenés en Europe (rhum, sucre, café, cacao, coton...). De Bordeaux, ces produits étaient ensuite distribués sur tout le Vieux continent. "La capitale de l’Aquitaine a déporté environ 150 000 Africains (en tout, entre 12 et 20 millions d’Africains auraient été déportés selon les sources, NDLR) et organisé près de 480 expéditions négrières de la fin du XVIIe au début du XIXe siècle", rapporte le site de la chaîne Outre-mer la 1ère.
Le phénomène a donc atteint son paroxysme au XVIIIe. (...)
Selon François Hubert, le port bordelais s’était spécialisé dans le commerce dit "en droiture" (sans transport d’esclaves). Lequel était jugé moins risqué, dans la mesure où la mortalité des esclaves sur les navires pouvait être très importante (parfois jusqu’à 50% de morts !)...
Dans le même temps, les Aquitains semblent avoir été très actifs aux Antilles. (...)
Au-delà du seul cas de Bordeaux, il faut savoir que le commerce triangulaire et ses revenus ont fait "fonctionner toute l’activité économique en Europe" (...)
Concernant spécifiquement la cité aquitaine, le trafic négrier a, apparemment, grandement contribué à sa richesse et à son expansion. (...)
Mais il n’y avait pas que le commerce triangulaire proprement dit : en dépit de l’interdiction, certains riches habitants avaient des esclaves à leur service. (...)
En 1777, un édit "défend à tous Noirs, Mulâtres et autres gens de couleur d’entrer à l’avenir dans le royaume" de France. Est alors instituée une "police des Noirs" qui doit notamment surveiller les allées et venues de ces personnes, empêcher les mariages mixtes...
Si l’on connaît encore les lieux où ont pu être enfermés certains esclaves, notamment le fort du Hâ (une plaque y a été apposée), Bordeaux ne conserve aujourd’hui que d’infimes traces de ce passé négrier. (...)