
Au-delà des conséquences sanitaires et économiques, une catastrophe nucléaire comme celle de Fukushima a aussi des conséquences sociales et démocratiques. Christine Fassert s’est penchée sur ces dernières dans le cadre du projet de recherche franco-japonais Shinrai. Entretien.
Le gouvernement japonais a mis en place un dispositif de zonage dont l’objectif principal est de localiser la radioactivité, en définissant des zones. Le gouvernement s’est appuyé sur le cadre réglementaire établi par les deux grandes institutions nucléaires internationales que sont l’AIEA (Association internationale pour l’énergie atomique) et la CIPR (Commission internationale de radioprotection) [2]. D’après la CIPR, la meilleure solution n’est pas forcément d’atteindre la dose de radioactivité la plus faible mais de faire « plus de bien que de mal » avec les mesures de radioprotection. Il s’agit de mettre sur un même plan les inconvénients causés par une exposition aux radiations avec ceux liés à des mesures de protection comme l’évacuation.
La mesure phare a été de relever le seuil de radioactivité de 1 à 20 mSv/an (le millisievert, mSv, est l’unité de mesure utilisée pour mesurer l’impact des rayonnements sur le corps humain) pour définir les zones à évacuer. Comment le gouvernement a-t-il fait ce choix ?
La CIPR recommande de fixer la dose maximum pour le public à 1 mSv/an en temps normal et prévoit qu’en cas d’accident, ce seuil puisse être relevé. Les autorités se sont basées là-dessus et ont justifié leur choix à partir d’arguments scientifiques insistant sur la non-dangerosité des faibles doses de radioactivité – ce qui ne fait pas consensus. (...)
Au-delà de ces deux points, l’accident de Fukushima a mis en évidence un conflit de légitimité. Il y a d’un côté des institutions comme la CIPR ou la AIEA qui considèrent être en mesure de définir le cadre de la radioprotection et s’appuient pour cela sur le principe « As low as reasonably achievable » (« aussi bas que raisonnablement possible »). Reasonably signifiant que ce ne sont pas seulement des critères de santé qui sont pris en compte, mais aussi des critères qui incluent le « raisonnable », par exemple des critères économiques. (...)
Face à cela, d’autres promeuvent une approche fondée sur les droits individuels de la personne. C’est par exemple le cas du rapporteur spécial de l’ONU Anand Grover qui a fait un rapport sur la gestion post-accidentelle en 2013 [3]. Ma collègue Reiko Hasegawa a montré que cette approche par les droits de l’homme existe déjà, c’est celle de la sécurité humaine. Elle aurait pu être utilisée, mais elle n’a pas été retenue.