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Mediapart
Nucléaire : le secret-défense à l’épreuve de la sous-traitance
#nucleaire #soustraitance #secretdefense
Article mis en ligne le 15 mai 2025
dernière modification le 13 mai 2025

L’introduction de la sous-traitance dans la sécurité de sites sensibles du Commissariat à l’énergie atomique inquiète des salariés. Mediapart a eu accès à un rapport confidentiel qui pointe le risque d’en affaiblir la sécurité et de créer des « effets pervers inattendus ». Mardi 13 mai, de premières assemblées générales pour protester contre cette réforme doivent se tenir.

Est-il sans danger de sous-traiter une partie de la sécurité de sites nucléaires sensibles, y compris de défense ? La question agite depuis plusieurs mois deux lieux emblématiques de l’histoire française de l’atome, le site de Marcoule, dans le Gard, et celui de Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône. Mais presque rien n’a filtré jusqu’ici, car les informations sur le dispositif de protection de ces zones sont soumises au secret-défense selon les autorités.

Un site nucléaire peut-il à la fois être trop sensible pour que les conditions de sa protection soient discutées publiquement, mais pas assez pour interdire de confier une partie de sa sécurité à des prestataires en sous-traitance ?

À Marcoule, ancien site de production de plutonium militaire, six réacteurs sont aujourd’hui en cours de démantèlement. À Cadarache se trouvent vingt et une installations civiles de recherche. C’est aussi là que s’active une unité spécialisée dans la propulsion des sous-marins de la force française de dissuasion.

C’est sur ces deux sites que le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), un institut de recherche sans activité de production d’électricité et actif dans le civil comme dans le militaire, veut introduire de la sous-traitance dans le contrôle des accès et le filtrage de certains postes de garde.

Ces tâches sont aujourd’hui assurées par des salariés du CEA appelés « FLS » (« forces locales de sécurité »), des agents de sécurité armés et formés à la sécurité incendie – notamment à l’extinction de feux chimiques, spécifiques et dangereux. Ces personnes jouent un rôle « à la fois de gardiens et de pompiers », explique un salarié : ils sont chargés de vérifier les badges des personnes qui entrent sur le site, et doivent porter secours aux personnes victimes d’accident du travail ou de malaise. Leur nombre précis est confidentiel.
« Effets pervers inattendus »

La direction du CEA à Marcoule a lancé un appel d’offres pour mise en place au 1er janvier 2026 de contrats de sous-traitance pour le contrôle de certains accès – pour onze postes –, tandis qu’il est envisagé de faire de même à Cadarache. Il s’agit de moyens « complémentaires » et « les effectifs sont intégralement maintenus », précise la direction nationale du CEA, pour qui « ces contrôles visuels peuvent être confiés à un prestataire spécialisé et dûment habilité, ce qui ne remet pas en cause la sécurité des centres concernés, dont le CEA reste le garant, sous le contrôle des autorités compétentes ». (...)

Un rapport d’expertise confidentiel auquel Mediapart a eu accès pointe à l’inverse un véritable « leurre » et une « fausse bonne idée » qui pourrait avoir des « effets pervers inattendus » : « Des éléments essentiels au dispositif de sécurité risquent d’être affaiblis », l’« éloignement » entre le personnel de sécurité et les autres salarié·es pourrait s’accroître, privant les FLS de la connaissance du personnel utile en cas de crise, analysent les expert·es de Cidecos, un bureau d’études mandaté par le comité social d’entreprise (CSE) du CEA de Marcoule, instance de représentation des personnels. (...)

Les conditions de travail des FLS aujourd’hui « épuisent ses agents », selon ce même rapport, avec des salariés en « souffrance physique, psychologique » et « en perte de repères et de sens au travail » du fait du manque de personnes en poste et des interruptions de formation. Tout cela est considéré comme « accidentogène ». Or « sous-traiter les accès n’empêchera pas la FLS de devoir continuer de travailler avec cette façon dégradée ».

Car même si le CEA assure que les postes sous-traités s’ajouteront aux emplois statutaires, « la contrainte qui est de ne pas augmenter les effectifs FLS », voire le risque qu’ils réduisent, « s’inscrit en totale contradiction avec la mission première » de ces personnels, qui est « d’assurer la sécurité des personnes, de la matière et des installations ». (...)

les documents concernant la révision des dispositifs de sécurité à l’entrée du site de Marcoule « ne pourront pas nous être communiqués manifestement pour des raisons de “secret-défense” ». Une demande d’assemblée générale exceptionnelle de la CLI a été refusée.

L’union départementale de la CGT du Gard et l’union locale de la CGT du Gard rhodanien s’en sont émues dans un courrier à la CLI de Marcoule, regrettant « la tendance croissante du CEA à invoquer abusivement la confidentialité ou le secret-défense pour restreindre l’accès à des éléments qui, en l’état, ne relèvent pas nécessairement de cette classification ». (...)

Concrètement, « ces procès-verbaux sont couverts par une mention de protection en raison des informations sensibles » mais « la direction du centre de Marcoule n’a en aucun cas interdit aux élus du CSE de communiquer sur ce projet » et « seuls quelques éléments sensibles ont été masqués afin de permettre aux élus de partager le document ».

Le résultat semble pourtant être une forme d’intimidation des salariés concernés. Ceux-ci ne s’expriment qu’avec grande précaution, sur des messageries chiffrées, et sous la protection institutionnelle du statut de représentant du personnel.Concrètement, « ces procès-verbaux sont couverts par une mention de protection en raison des informations sensibles » mais « la direction du centre de Marcoule n’a en aucun cas interdit aux élus du CSE de communiquer sur ce projet » et « seuls quelques éléments sensibles ont été masqués afin de permettre aux élus de partager le document ».

Le résultat semble pourtant être une forme d’intimidation des salariés concernés. Ceux-ci ne s’expriment qu’avec grande précaution, sur des messageries chiffrées, et sous la protection institutionnelle du statut de représentant du personnel. (...)

Le CSE du CEA de Marcoule a demandé en janvier à l’unanimité le retrait de la réforme. À Cadarache, des FLS ont présenté un projet alternatif de réorganisation de leur temps de travail, sans sous-traitance et avec une répartition horaire libérant des heures de formation. Mais il a été rejeté par la direction. « On va mener un combat, on ne va pas lâcher, il y a des familles derrière, assure Bertrand*, un représentant syndical, élu au CSE de Cadarache. Selon lui, « l’enjeu majeur est la perte de dissuasion, qui est le premier niveau de protection contre une entreprise terroriste. Mais le volet social est aussi impacté. La sous-traitance vise les postes qui permettent d’éviter un licenciement en cas d’inaptitude. »

Des AG s’organisent à partir du 13 mai sur le site de Cadarache pour contester cette réforme, avant un CSE du CEA central prévu le 22 mai.