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Regards
Attentat de Conflans : qu’il est loin le 11-Janvier
Article mis en ligne le 19 octobre 2020

Après la décapitation de Samuel Paty, des dizaines de milliers se sont rassemblées un peu partout en France ce dimanche pour exprimer leur soutien, leur colère, leur peine. Hélas, l’union face au terrorisme semble bien fragile, quand certains préfèrent encore diviser pour mieux régner sur leur pré carré.

Depuis vendredi, je vois défiler les images de mes enseignants. Je les ai tous en mémoire. De ma première année de maternelle jusqu’à la Terminale. Je me rappelle de tout. De leurs visages. De leur voix. De leurs colères. De leurs folies parfois. De leurs injustices – ressenties ou réelles. On a aimé les détester, souvent. Mais on leur doit tout. Samuel Paty, qui a été assassiné pour avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet, a sans doute déjà marqué la mémoire de centaine de collégiens. Il marquera, à jamais, la mémoire de tout un pays. Comment qualifier ce qui s’est passé vendredi dans les Yvelines ? C’est inqualifiable. Inimaginable. Barbare. Le président de la République a tweeté : « Ils ne passeront pas », et s’est exprimé plus longuement en ajoutant cette phrase, terrible, mais juste : « Il n’y a pas de hasard si ce soir, c’est un enseignant que ce terroriste a abattu ». (...)

Derrière le doute, il y a toujours la certitude des ignorants. Ceux qui ne veulent pas comprendre mais qui savent déjà mieux que tout le monde. « Expliquer, c’est déjà chercher à excuser », avait lancé Manuel Valls après les attentats de janvier 2015. Nous avons besoin de comprendre. Et d’expliquer. Pas d’entendre les diatribes verbales de quelques aigris courant les plateaux de télévision, sans honte ni gêne, le doigt accusateur. À l’instar de l’ancien Premier ministre : « Jean-Luc Mélenchon a sa part de responsabilité dans cette lâcheté qu’il y a eu de la part de la gauche », a-t-il plaidé. Ou comme son ex-collègue, un autre ancien Premier ministre, Bernard Cazeneuve, qui dénonce hier dans Le Parisien, les « lâchetés » et « l’islamo-gauchisme ». Ils ont été en responsabilités. Ils ont échoué. Ils ont même gouverné en vendant des armes à des États qui financent le terrorisme. Mais ils continuent à donner des leçons. À désigner les coupables. Et ils ne sont pas seuls. Dans les journaux, à la radio et à la télévision. Hier, aujourd’hui, demain. Matin, midi et soir. Ils occupent le terrain. Caroline Fourest en guest-star. Mais aussi Philippe Val et bien d’autres. Les fidèles du Printemps républicain en force. Ils se relaient, entonnent le même discours stigmatisant, excluant – guerrier aussi – en désignant à leur tour les coupables pour clore le débat, sans contradicteur. (...)

Ils seraient les seuls « combattants » d’une République laïque, une et indivisible. Ou plutôt les « combattantes », comme le titre ce week-end Le Figaro magazine en hommage à Sonia Mabrouk, Zineb El Rhazoui, Dana Manouchehri, Najwa El Haïté et Fatiha Agag-Boudjahlat. Il n’y a pas de place médiatique pour un autre discours, comme si la « guerre » était la seule réponse entendue et attendue. Peut-on avoir un débat ? Nous ne sommes pas en guerre. La guerre n’est pas la solution à nos maux. Nous avons les outils et surtout les mots pour le dire. On ne peut pas clore un débat qui n’a pas eu lieu. Comme l’écrit l’historienne Laurence De Cock dans AOC : « Au concert de nos certitudes pontifiantes, il serait sans doute utile de faire entendre quelques paroles d’humilité. Car sur cet événement, que pouvons-nous pour le moment poser comme diagnostic plus juste que nos questions et nos fragilités ? » Ils n’ont pas la réponse. Personne n’a la réponse. Personne ne détient la vérité. Et ils ne peuvent pas confisquer le débat comme ils semblent désormais engagés à le faire. Il faut tout réinterroger et ne plus se cacher derrière les beaux concepts de démocratie, de République, de laïcité, d’institution scolaire. Des mots vides de sens. La politique sonne creux.

Hier, des rassemblements avaient lieu partout en France. Celui de la place de la République à Paris a fait céder les digues. L’unité a été fracturée en quelques slogans et autres tweets. Ainsi a-t-on entendu l’UNEF se faire traiter de « traîtres » et de « collabos » quand d’autres, comme Fatiha Agag-Boudjahlat ont sommé quelques militants de La France insoumise de quitter le rassemblement : « Vous n’avez pas votre place la FI dans cette manif », a-t-elle lancé au député européen Manuel Bompard. Ces gens-là défendent-ils vraiment les libertés ? Nos libertés ? Ayons un débat.

Hier, on était loin du 11-Janvier.