Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
AG0RAVOX
Attentat à Charlie Hebdo : triomphe de l’émotion, échec de la réflexion
lundi 12 janvier - par Nicolas Hercelin
Article mis en ligne le 14 janvier 2015
dernière modification le 12 janvier 2015

"La télévision régie par l’audimat contribue à faire peser sur le consommateur supposé libre et éclairé les contraintes du marché, qui n’ont rien de l’expression démocratique d’une opinion collective éclairée, rationnelle, d’une raison publique, comme veulent le faire croire les démagogues cyniques." Pierre Bourdieu, Sur la télévision.

7 janvier 2014, la France est prise de court par de terribles événements. Le but de cet article n’est pas de s’étendre sur les faits. Ils ont été à mon sens assez relayés que pour s’y attarder de nouveau. De plus, à l’instar du 11 septembre, des attentats de Boston ou encore de l’affaire Merah, de nombreuses zones d’ombre persistent et persisteront. Donc laissons au temps le soin de les éclaircir. Nous ne nous permettrons aucune conclusion quant à la véracité de tel ou tel fait.

Ce que nous pouvons constater, c’est l’ampleur de la vague d’indignation suscitée par ces violences. Vague d’émotion ô combien compréhensible quand des innocents – qu’ils soient fonctionnaires de police, salariés de Charlie Hebdo, otages se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment – se font assassiner froidement.

Néanmoins, ce qui est troublant c’est que cette indignation nationale (et même européenne) ne fait l’écho d’aucune autre de la sorte. Pourtant les occasions d’exprimer cette indignation n’ont pas manqué au cours de ces dernières années. Si la force et la rapidité d’indignation provoquée pourraient nous faire conclure que le peuple de France est un ardent défenseur de sa valeur de fraternité, force est de constater que cette défense est ponctuelle et qu’elle ne s’est pas incarnée ni dans l’affaire Merah, ni dans la mort de nombreux SDF cet hiver ou encore moins vis-à-vis des différents bafouements des droits des peuples un peu partout dans le monde.

Indignation « mainstream » sélective ?

Or, il paraît pertinent de lier ce tsunami de colère des français avec l’intensité de la couverture médiatique de l’événement. Edition spéciale d’information rallongée de type « 11 septembre », classe politique main dans la main, journalistes agrémentant leurs twitter/facebook/éditions au gré des nouveaux éléments. Une omniprésence de l’information qu’aucun français n’a évitée, du followers faceboockien au téléspectateur des chaînes d’information continue.

Certes, vous me direz, ces journalistes peuvent-ils faire autrement que de réagir de la sorte face au tragique et à la gravité de la situation ? Les faits ont été violents et soudains. Les quêteurs de reportages chocs se sont rués sur le moindre indice et la moindre information (établissant des interprétations souvent hâtives) pour répondre à l’attente et à la demande des français d’être informés. N’oublions pas, chers lecteurs, que ce qui mue aujourd’hui ces médias, de grand tirage et de grande diffusion, c’est l’audience. Audience qui est un joli mot cachant la quête du chiffre. Notons que Charlie Hebdo, avant l’arrivée de Phillipe Val (1), était lui-même contre cette logique moderne du journalisme d’entreprise attaché à la rentabilité qui n’hésite pas à outrepasser ses convictions et sa déontologie.

Là où je veux en venir c’est que ces médias sont de grands habitués – via la télé réalité, les reportages intrusifs à la confession intime ou autre complément d’enquête, les « dossier spécial » du Point,... – de la communication par l’émotion. Qui d’entre nous n’a pas été retenu en haleine lors de la couverture des prises d’otages en direct par nos médias ? Le Monde titre « le 11 septembre français », Ouest France « La France en deuil » ou encore « 66 millions de Charlie ». Toute la machine de l’émotion s’est mise en route. Mais ce journalisme de l’émotion omet constamment de mettre en contexte et de prendre du recul par rapport à ces faits.

A quel moment le pourquoi du comment est mis en lumière par nos médias d’information ? Si ce n’est quelques conclusions sur les liens avec Al-Qaïda ou autres suppositions sur les réseaux terroristes qui gangrènent la France... Mais la déontologie journalistique implique un juste traitement entre l’émotion et l’explication. Ceci n’est malheureusement pas réalisé. Ainsi c’est attristé que je vois 80% de mon Facebook adhérer à la chaîne #JeSuisCharlie sans l’effort apparent d’une recontextualisation. (...)

Nos chers journalistes (du moins leur ligne éditoriale), notre classe politique, nos intellectuels et même nous citoyens semblons frappés d’une forte amnésie en ce qui concerne notre responsabilité dans la création indirecte des conditions d’un tel drame. Nous ne sommes pas victimes à 100%.

C’est en premier lieu les errances en politique extérieure qu’il faut souligner. Des campagnes guerrières en Libye, au Mali, jusqu’au levé du blocus sur les armes envers la Syrie durant la guerre civile (2), en passant par les guerres d’Afghanistan et d’Irak, nos gouvernements n’ont nullement de leçon de pacifisme à donner aux terroristes. Alimentant la haine, brisant la paix sous couvert de lutte contre le terrorisme. Et ce sont à chaque fois les civils qui trinquent et les extrémistes qui gagnent en légitimité. Sans parler des relations bilatérales entretenues avec le Qatar, qui investit massivement en France. Rappelons que cette pétromonarchie a été un des moteurs du financement de l’Etat Islamique en Irak (3). Quand un pays est saccagé par notre armée, au nom de notre nation, dans notre dos, les valeurs de la république y prennent un coup tout aussi puissant que lorsqu’une vingtaine de nos compatriotes sont tués sur le sol national.

En second lieu la politique interne de nos gouvernements n’est pas non plus exempte de reproches. L’échec des services français sont ici mis au grand jour. Malgré le fichage de ces individus et les alertes extérieures, les attentats ont eu lieu. De plus, si les terroristes viennent tous de banlieue, cela n’est point étonnant. Ces espaces sont abandonnés, destinés à la misère sociale, au chômage de masse, à la délinquance et à la déliquescence des services publics (éducation nationale et police en tête). C’est aussi le jeu vicieux de la dénonciation d’un islam radical gangrenant notre pays qui est constamment joué par nos élites. Se gardant bien de rassembler sur des valeurs communes, ils préfèrent à chaque fois la stigmatisation.

Il serait fastidieux de s’étendre encore sur les multiples causes du trahissement de nos élites. (...)

Refusons leur système de représentation boiteux en ne votant pas en 2017 et en exigeant de repenser la Constitution ! Refusons ce choc des civilisations qui nous est imposé. Réapproprions-nous nos médias ! Le changement est possible, il dépend de chacun de nous. Notre levier de pouvoir est celui de choisir de suivre ou non la carotte au bout du bâton qui nous est tendu. Le vote, dans le cadre actuel, nous aliène de nos véritables buts, nos journalistes nous divisent sur nos différences ethniques et confessionnelles alors que nos valeurs et notre condition devraient nous rassembler. Ne succombez pas à l’émotion, à l’indifférence, à la facilité de notre confort personnel, à la désignation rapide de coupables. Car si ce récent drame n’impulse pas une réaction à la fois personnelle et collective dans la profondeur, ces personnes seront mortes pour rien.

Paix.