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Atatürk, ce héros ? Quand Emmanuel Macron piétine (une fois de plus) l’histoire des Arménien·ne·s
par Pierre Tevanian, professeur de philosophie
Article mis en ligne le 26 mars 2021

Au cours de cette soirée intitulée « Erdogan, le Sultan qui défie l’Europe », beaucoup de choses intéressantes ont été dites, sur un personnage en effet éminemment dangereux, mais beaucoup de commentateurs ont aussi dit n’importe quoi. Un premier exemple concerne le « modèle laïque français » qu’aurait adopté Ataturk, avant qu’Erdogan ne le rejette. Car en réalité, c’est rigoureusement l’inverse qui s’est passé en matière de « laïcité » :

 le modèle turc autoritaire et liberticide (voile interdit) s’opposait au modèle libéral français de 1880-1882-1886-1905 qui a tenu jusqu’à 2004, et qui n’imposait aucune interdiction de l’expression religieuse aux usagers des services publics, élèves y compris (seuls y étaient soumis les agents desdits services publics) ;

 c’est ce modèle turc qui a servi de modèle en France pour la révolution conservatrice de 2004 (qui instaurait cette interdiction, jusque-là absente).

L’exemple turc a d’ailleurs été souvent mobilisé dans les argumentaires en faveur de cette loi de 2004, comme caution antiraciste. Tandis qu’à peu près au même moment, le président Erdogan se rapprochait plutôt de la tradition libérale française de 1880-2004 en supprimant l’interdiction du voile pour les étudiantes. C’était il y a bien longtemps, avant son tournant autoritaire et même fascisant, ces dernières années.
(...)
Le plus violent, peut-être, est ce moment où le président français invoque « l’histoire », en reprochant à Erdogan une attitude de « défi par rapport à l’histoire », car on se dit alors qu’enfin il va être question de 1915, du négationnisme acharné d’Erdogan, de ses menaces contre « les restes de l’épée » (sic), de ses récents appels, aux côtés du président Azerbaïdjanais, à finir le boulot bientôt, mais en vain : le président français prononce le mot « histoire » pour dire que « la grande nation qui a porté l’idéal de laïcité dans la région » est la Turquie – et l’intervieweuse d’opiner, avec solennité : « oui, la Turquie ».

Le président Macron ne prononce le mot « histoire » que pour encenser le « héros » Atatürk (sic), et « le message de paix et de tolérance que la Turquie a su porter » (re-sic)... Rappelons tout de même que ledit Atatürk, autocrate considéré comme un modèle par Hitler (qui le qualifia d’ étoile scintillante), a organisé la négation étatique du génocide de 1915, l’écriture d’un récit national éliminant les Arméniens, l’amnistie et le recyclage politique des cadres du génocide, sans oublier les brimades, les violences et les lois d’exception anti-arméniennes, véritable continuation du génocide, qui ont jalonné son règne puis celui de ses héritiers « kémalistes ». Et sans oublier, non plus, l’oppression de toutes les autres minorités, à commencer par les Kurdes. (...)