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Askavusa : un contre-récit de la frontière
Article mis en ligne le 22 septembre 2019
dernière modification le 21 septembre 2019

Sur le port de Lampedusa se trouve un musée particulier où l’on expose ce que certains voudraient cacher. Il s’appelle Porto M. M comme Migration, mais aussi comme Méditerranée, Mémoire, ou Militarisation.

Sa façade est colorée, invitante. On s’approche et on découvre qu’elle est faite d’épaves de barques à bord desquelles des hommes et des femmes ont voyagé. Tous ne sont pas arrivés jusqu’à l’île. À l’intérieur, d’autres objets intimes, quotidiens, triviaux ou sacrés : jeans aux boutons rouillés, djellabas, casseroles, boîtes de conserve, biberons, produits d’hygiène, médicaments, couvertures de survie, gilets de sauvetage, chaussures, bibles et corans. (...)

La grotte qui abrite ce minuscule musée a d’abord été un atelier de réparation de bateaux et de filets, puis un bar. Depuis janvier 2015 elle accueille le collectif Askavusa et les objets que ses membres ont ramassés depuis 2009 dans la décharge où étaient entassées les embarcations des migrants.

Ces objets ne sont pas là pour susciter la pitié, ils sont une partie d’un contre-récit de la frontière que propose Askavusa et qui invite à considérer les personnes migrantes non comme un tout, mais comme autant d’individus. Surtout, il nous invite à penser les migrations dans un contexte plus large que la simple question de l’accueil, sans faire l’impasse sur le contexte géopolitique, le capitalisme et le néo-colonialisme. Le projet est toujours en évolution : au début, des lettres et des photos avaient également été exposées, mais suite à des discussions et des débats, ces objets très personnels ont été retirés de l’exposition et sont aujourd’hui simplement conservés par Askavusa.

Ce collectif est né en 2009, quand le projet de création d’un CIE [1] de 10 000 places à Lampedusa avait provoqué la colère des habitants, beaucoup craignant ses conséquences pour le tourisme. Les membres du collectif Askavusa, eux, s’opposaient à la création du centre en tant que lieu de rétention, et militaient pour la libre circulation des personnes. Très vite, la nécessité d’une vue plus large et politique sur la question migratoire s’est fait sentir. (...)

Le CIE actuel dispose de 240 places, mais la plupart du temps, au moins 500 personnes y sont détenues. Détenues, oui, car théoriquement, elles ne doivent pas en sortir. Elles devraient aussi n’y rester que quelques jours puis poursuivre leur voyage. En réalité, leur permanence se compte en semaines, voire en mois. Détenir autant de personnes dans un lieu inadapté pendant si longtemps pourrait créer les conditions d’une rébellion. Mais un trou dans le grillage fait office de soupape de sécurité : en été, pour ne pas trop heurter les touristes qui viennent profiter des plages, on le referme plus ou moins, on le surveille. Le reste de l’année, on ferme les yeux sur les sorties. Bien sûr, on ne peut que se réjouir de cette possibilité pour les personnes migrantes de s’évader pour quelques heures, mais on note l’hypocrisie et l’arbitraire de la méthode.

Si le discours a changé, son but reste le même : augmenter le budget de la défense. Les images des corps sur le débarcadère après le naufrage du 3 octobre 2013 ont permis de lancer Eurosur, système de surveillance qui bénéficie d’un budget de 224 millions d’euros pour 2014-2020. Le discours humanitaire est utilisé pour justifier cette course à l’armement. La militarisation est partout visible à Lampedusa (...)

Askavusa est très mobilisé sur cette question et alerte sur les dangers pour la population et l’environnement. (...)

Benetton a tenté de s’associer au projet. Mais le vendeur de pulls n’avait pas sa place à Porto M : Askavusa ne souhaitait pas être utilisé pour redorer le blason d’une entreprise qui exploite sans vergogne les travailleurs. Les membres du collectif préfèrent se déplacer pour montrer les objets de leur musée dans des espaces publics pour informer, décortiquer le discours médiatique et rappeler les raisons qui poussent des milliers de personnes à l’exil. Quelle est donc la place de ces objets exposés volontairement sans didascalie dans ce contre-récit ? Ils témoignent, sans mots, des individualités, du caractère unique de chaque histoire. Le collectif revendique un parcours encore en mouvement : « Nous cherchons simplement la route qui nous a menés à cette décharge. »