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Archives et guerre d’Algérie : questions et inquiétudes
Article mis en ligne le 5 septembre 2019
dernière modification le 3 septembre 2019

Un an après la déclaration présidentielle sur l’assassinat de Maurice Audin par les militaires qui le détenaient, une dérogation va rendre accessibles des archives le concernant. Qu’en est-il des autres victimes du même processus ? Une journée d’étude sur les disparus de la guerre d’Algérie du fait des forces de l’ordre françaises a lieu le 20 septembre, salle Victor Hugo de l’Assemblée nationale.

Loin de tourner le dos aux préoccupations actuelles de l’Algérie, ou de nier qu’il y a eu d’autres disparus durant cette guerre comme après l’indépendance, la journée d’étude sur les disparus de la guerre d’Algérie du fait des forces de l’ordre françaises pose une question particulièrement grave pour la République française, qui concerne l’histoire, la justice et les archives.

Le fait de lui avoir donné pour objet les disparus du fait des forces de l’ordre françaises dans les années 1954 à 1962 de la guerre d’Algérie peut conduire s’interroger sur l’opportunité d’un tel sujet précis et de ses limites chronologiques.

Dans une période où l’Algérie est tendue vers la question de son avenir, on pourrait considérer comme inutile de se pencher sur des faits vieux de plus de cinquante ans. Ou penser que cela risque de faire le jeu des forces qui, en Algérie, instrumentalisent les crimes du colonialisme pour justifier leur régime politique de plus en plus contesté. En réalité, ce retour vers l’histoire n’est pas contradictoire avec la soif d’avenir qui s’exprime aujourd’hui dans ce pays. Dans les rassemblements qui, depuis le 22 février 2019, posent le problème du futur de l’Algérie, on voit de nombreuses références à des symboles et des personnages emblématiques de la guerre d’indépendance. Poser la question des disparus lors de ce qui a été appelé la « bataille d’Alger » et du reste de la guerre n’est pas contradictoire, loin de là, avec d’autres demandes de vérité sur d’autres épisodes.

Oui, il y a eu d’autres disparus pendant la guerre d’Algérie. Parmi les algériens qu’il était convenu d’appeler les musulmans — catégorie administrative coloniale, rappelons-le —, en raison de conflits entre nationalistes algériens et d’actes commis par certains responsables du FLN-ALN. Il y en a eu aussi parmi les militaires français, dont on ne sait ni la date de la mort ni le lieu de leur éventuelle sépulture. Et aussi parmi les européens d’Algérie, à différents moments de la guerre, et surtout, après le 18 mars 1962 — qui marque la fin officielle du conflit entre le FLN/ALN et la France, mais où des affrontements armés se sont poursuivis puisque l’OAS a continué à tuer, refusant le cessez-le-feu et l’indépendance de l’Algérie. (...)

Après l’indépendance de l’Algérie, d’autres disparitions forcées d’Algériens se sont produites. D’abord, dans les premières années, de personnes accusées de s’être opposés à la lutte nationale ainsi que de membres de leur famille, qualifiées de « harkis ». Et, durant les années 1990, probablement le plus grand nombre de disparus en Algérie dont les familles n’ont reçu aucune nouvelle est intervenu lors des agressions commises par différents groupes armés, après l’annulation du second tour de l’élection législative de janvier 1992. (...)

L’idée d’organiser une journée sur les disparus de la guerre d’Algérie du fait des forces de l’ordre françaises est née, à ce moment, lorsque plusieurs membres de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)[3], organisme consultatif nommé par le Premier ministre, ont ressenti la nécessité de confronter leurs réflexions sur cette page de notre histoire. Parmi eux, des juristes qui ont travaillé sur l’évolution du droit international concernant les disparitions forcées.

Leur projet a été soutenu par des associations représentées à la CNCDH — Amnesty international, la Cimade, l’Association des chrétiens pour l’abolition de la torture (l’Acat), le Mrap et la Ligue des droits de l’Homme —, ainsi que par le président de la CNCDH, Jean-Marie Delarue, qui présidera la séance consacrée à la Justice, et par le bureau unanime de cette commission. Les membres de la CNCDH à l’origine de cette initiative ont pris contact avec des archivistes, dont les responsables de l’Association des archivistes français, qui travaille depuis plusieurs années sur l’enjeu citoyen que constitue l’accès aux archives et avec des historiennes et historiens. Un comité scientifique a été constitué. D’éminentes personnalités ont bien voulu parrainer la journée, ainsi que des institutions universitaires, comme l’Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne, La contemporaine et l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP-CNRS). (...)

Le gouvernement a choisi de préparer successivement deux dérogations pour faciliter l’accès aux archives. Une première se limitera strictement au cas de Maurice Audin. Une seconde aura pour objet « toutes les disparitions de la guerre d’Algérie » — peut-être au-delà même du cessez-le-feu du 18 mars 1962 —, quels qu’en soient les auteurs. Sont-elles à la hauteur de l’interrogation nécessaire de la France sur les actes commis par les forces de l’ordre dépendant directement de ses autorités ? (...)

La journée d’étude du 20 septembre permettra de rendre compte de ce travail nécessaire d’histoire et de mémoire pour la vérité et pour la justice.