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le Monde Diplomatique
Après les révolutions, les privatisations...
par Akram Belkaïd, octobre 2011
Article mis en ligne le 31 décembre 2011
dernière modification le 27 décembre 2011

L’absence de véritable aide internationale fragilise la quête d’une troisième voie, entre dirigisme et capitalisme débridé, dans les pays arabes. Elle les livre à l’influence d’institutions financières dont la crise, au Nord, n’a pas bousculé les certitudes.

Confrontées à une difficile stabilisation de leur situation politique, la Tunisie et l’Egypte doivent aussi faire face à des défis économiques.

La chute des systèmes de prébende mafieuse va certes libérer les énergies et les initiatives individuelles, mais elle ne sera fructueuse que si les nouveaux pouvoirs en place trouvent les moyens financiers de rattraper le temps perdu et d’assurer un développement plus égalitaire.

Selon les premières estimations de la Banque centrale de Tunisie et du ministère égyptien de l’économie, les deux pays auront besoin, au cours des cinq prochaines années, de 20 à 30 milliards de dollars pour améliorer les conditions de vie de leurs populations et désenclaver des régions entières grâce à un programme d’investissements dans les transports, l’énergie et les infrastructures technologiques.

Conscientes de ces enjeux majeurs, des personnalités tunisiennes, mais aussi européennes et arabes (1), se sont regroupées derrière le slogan « Invest in democracy, invest in Tunisia » (« Investissez dans la démocratie, investissez en Tunisie ») et ont lancé un appel, le « manifeste des 200 », appelant les pays occidentaux à aider financièrement la Tunisie.
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Les Etats-Unis et l’Union européenne ont toutefois fait savoir de manière plus ou moins tranchée que leurs caisses étaient vides et que la crise de la dette publique ne les incitait guère à la prodigalité. Lors de la réunion du G8 à Deauville, les 26 et 27 mai 2011, les pays les plus riches de la planète ont certes promis 20 milliards de dollars (14,7 milliards d’euros) sur deux ans à l’Egypte et à la Tunisie, mais ce montant comprend essentiellement des prêts déjà programmés avant la révolution. Quant aux pays arabes, ils ne se précipitent guère pour aider leurs voisins engagés sur le chemin tortueux de la démocratisation.
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A Tunis comme au Caire, où l’on espérait le lancement d’un véritable « plan Marshall » — référence au financement de la reconstruction de l’Europe par les Etats-Unis après la seconde guerre mondiale —, la déception a été grande. D’autant que plusieurs économistes ont expliqué qu’un tel plan ne coûterait que l’équivalent du financement de deux mois de guerre en Irak, ou 3 % de la facture de la réunification allemande de 1991
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A défaut de pouvoir compter sur une aide financière à la mesure des défis économiques et sociaux qu’elles affrontent, l’Egypte et la Tunisie sont vivement encouragées par le FMI et la Banque mondiale à aller plus loin dans l’ouverture libérale, quitte à s’adresser aux grands groupes internationaux pour financer leur développement.
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Ainsi, avec un cynisme qui leur est propre, les institutions financières internationales demandent à ces démocraties naissantes l’équivalent de ce qu’elles exigeaient des dictatures il y a peu. (...)

Depuis le début des années 1990, le FMI n’a cessé en effet de demander à M. Hosni Moubarak et à M. Zine El-Abidine Ben Ali (présidents respectivement de l’Egypte et de la Tunisie) plus de réformes économiques, parmi lesquelles la convertibilité totale de leurs monnaies, une « amélioration de l’environnement des affaires » — comprendre par là plus de facilités pour les investisseurs étrangers —, un retrait accéléré de l’Etat de la sphère économique et une libéralisation des services. Sans jamais remettre en cause leur adhésion à l’économie de marché, les dictateurs déchus avaient veillé à ne pas aller trop loin en matière d’ouverture, conscients que cela pouvait aggraver les disparités sociales. Les futurs gouvernements démocratiquement élus se plieront-ils à ces demandes de libéralisation économique plus poussée ? Les PPP sont-ils vraiment la solution ?

Au sud de la Méditerranée, ce montage apparaît pour les milieux d’affaires et les institutions internationales comme l’outil indispensable pour le financement d’infrastructures. Pourtant, les implications de ce système demeurent largement méconnues. (...)


Existe-t-il une option économique qui ne serait ni un libéralisme débridé ni un retour au dirigisme d’antan ?
Si oui, elle ne viendra pas des partis politico-religieux. Comme l’a montré l’économiste égyptien Samir Amin à propos des Frères musulmans, l’islamisme se contente de s’aligner sur les thèses libérales et mercantilistes et, contrairement à une idée reçue, n’accorde que peu d’attention aux enjeux sociaux. (...)

Ils sont donc des alliés utiles pour Washington (y a-t-il un meilleur allié des Etats-Unis que l’Arabie saoudite, patron des Frères ?), qui leur a décerné un “certificat de démocratie” (7) ! » (...)

On parle souvent des actions caritatives des formations islamistes ; c’est oublier que ces dernières défendent un ordre figé et qu’elles se refusent à penser ou à élaborer des politiques vouées à la diminution de la pauvreté et des inégalités sociales. De même, l’islam politique est enclin à favoriser des politiques néolibérales et à s’opposer à toute politique de redistribution par le biais d’impôts jugés impies, exception faite de la zakat, c’est-à-dire l’aumône légale et codifiée — l’un des cinq piliers de l’islam. Cela explique pourquoi les islamistes n’ont jamais cherché à se rapprocher des mouvements altermondialistes, qu’ils considèrent souvent comme une nouvelle manifestation du communisme. On peut donc supposer que, tant qu’ils ne mettent pas en danger la base même de la démocratie, des partis islamistes forts n’entraîneraient pas une révolution majeure dans la politique économique des pays concernés. (...)

La Tunisie et l’Egypte se retrouvent donc confrontées à la recherche de cette fameuse « troisième voie » que les pays de l’ex-bloc soviétique n’ont pas été capables de mettre en place après la chute du Mur. Il s’agit d’empêcher que les révolutions populaires fassent le lit d’un capitalisme conquérant qui remettrait en cause la cohésion sociale des sociétés égyptienne et tunisienne. Cela passe nécessairement par la mise en place de politiques économiques mettant l’accent sur le social et la réduction des inégalités.

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