
A Mossoul, les jihadistes, chassés au prix d’une guerre dévastatrice, ont détruit bibliothèques, librairies et autres repaires de lecteurs dans cette grande ville d’Irak.
Dans la cité connue depuis des siècles pour ses intellectuels et ses bibliothèques de recueils anciens, lire des ouvrages jugés non conformes aux visions rigoristes du groupe Etat islamique (EI) était interdit et même puni de châtiments pendant l’occupation de Mossoul par les jihadistes de 2014 à 2017.
Entre autodafés et combats, des milliers de livres sont partis en fumée. "Certains n’ont jamais été numérisés et sont perdus à jamais", se lamente Roua, étudiante en science de l’alimentation.
Près de deux ans après la libération de la ville, étudiants et chercheurs "ont le plus grand mal à trouver de la documentation", abonde Abdelmajid Mohammed, un doctorant en histoire âgé de 34 ans.
"Il faut s’en remettre à internet ou faire jouer des relations personnelles" pour trouver des livres ailleurs, poursuit-il. (...)
Et quand les livres ne viennent pas à Mossoul, ce sont ses habitants qui vont aux livres. Pour son doctorat en ingénierie civile, Wathiq Mahmoud, 33 ans, a été jusqu’à Bagdad, à 400 km plus au sud. Et même jusqu’à Bassora, à plus de 1.000 km.
Pourtant, dit-il à l’AFP, avant l’arrivée des jihadistes "tous ces ouvrages étaient disponibles à Mossoul" alors connue comme "La Mecque des chercheurs et des étudiants", en allusion au premier lieu saint de l’islam.
"On y venait de tout l’Irak et du monde arabe. Aujourd’hui, les Mossouliotes sont forcés d’aller ailleurs pour trouver ouvrages et documents scientifiques", lâche-t-il, amer. (...)
Des plans vieux de plusieurs siècles d’astrolabes ou de sabliers se trouvaient aussi dans cette cité d’Irak, l’ancienne Mésopotamie où fut inventée l’écriture il y a plus de 5.000 ans.
– Manuscrit millénaire -
Mais quand l’EI s’est lancé dans une destruction méthodique du patrimoine, les habitants n’ont pu que contempler, impuissants, les jihadistes asperger les livres d’essence avant de les regarder se tordre dans les flammes.
Au préalable, affirment les spécialistes, l’EI a pu prélever des ouvrages précieux, revendus au marché noir pour financer ses exactions. (...)
Jamal Ahmad, qui dirige la Bibliothèque centrale, mise désormais sur des initiatives de Mossouliotes, pour beaucoup lancées par de jeunes bénévoles, pour reconstituer les stocks des bibliothèques.
"Avant d’être pillée et vandalisée, la bibliothèque comptait 16.338 ouvrages en tous genres". Seuls 11.758 ont pu être sauvés. Et à cause de travaux de reconstruction, ils sont toujours inaccessibles au public.
La bibliothèque du Waqf, l’instance publique qui gère les biens religieux musulmans, a perdu 10.000 de ses 58.000 livres, dont ses pièces maîtresses. (...)
Pour la bibliothèque de l’Université de Mossoul, l’une des plus en vue d’Irak, les pertes se montent à "90 à 95% du fonds documentaire" (...)
Grâce à la solidarité académique mondiale et à des initiatives particulières, des ouvrages retrouvent désormais le chemin des bibliothèques à Mossoul.
Après la guerre, "des organisations, des universités et des particuliers en Irak et à l’étranger ont donné plus de 100.000 livres" à la bibliothèque de l’Université, se félicite M. Tawfiq. Mais le fonds documentaire est encore loin d’avoir recouvré sa diversité d’antan.
Parfois, ce sont des Mossouliotes qui ramènent des trésors. (...)
Abou Mohammed, un maçon de 33 ans, est parvenu à sauver des centaines d’ouvrages lors du grand incendie de la Bibliothèque centrale en 2015. Il explique avoir transporté avec un ami "plus de 750 livres sortis à chaque fois dans de petits sacs". (...)