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Après le terrorisme, les sites antisionistes bientôt bloqués sans juge ?
Article mis en ligne le 19 janvier 2015

Pourtant ministre de la justice, Christiane Taubira a proposé que les mesures de blocage ordonnées sans le contrôle d’un juge soient étendues aux sites racistes et antisémites, depuis une liste fixée par le ministère de l’intérieur. Or pour Manuel Valls, les discours antisionistes qui critiquent Israël sont indissociables des discours antisémites. Attention, danger.

Les nouvelles mesures de lutte contre le terrorisme que doit proposer le Gouvernement iront-elles jusqu’à étendre la censure sur simple ordre du ministère de l’intérieur aux sites racistes et antisémites, et par extension fâcheuse aux sites antisionistes ? La question est plus que jamais d’actualité après le communiqué publié vendredi par la ministre de la Justice Christiane Taubira, qui a présenté à l’Ecole Nationale de Magistrature ses propositions de "lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations".

Selon le communiqué, Mme Taubira a proposé — ce qui est un comble s’agissant d’une garde des Sceaux et ce qui contredit ses positions de l’été dernier — de "confier à l’autorité administrative la possibilité de bloquer les sites et messages de haine raciste ou antisémite", c’est-à-dire d’étendre à ces délits les mesures de censure policière prévues pour l’apologie du terrorisme et la pédopornographie. Il s’agirait de confier au ministère de l’intérieur le soin d’établir les listes de sites à bloquer sans contrôle de leur illégalité par un magistrat.

Or l’on sait que le Premier ministre Manuel Valls a une vision particulièrement large de ce qu’est l’antisémitisme, puisqu’il y inclut non seulement la haine à l’encontre des Juifs, ce qui ne fait pas débat, mais aussi désormais les discours les plus virulents et systématiques contre la politique interne ou étrangère d’Israël, et contre les personnalités dites "sionistes" qui la soutiennent. La frontière n’est certes pas toujours simple à établir entre l’antisionisme et l’antisémitisme, surtout lorsque le premier sert de faux-nez au second, mais la distinction reste absolument nécessaire en démocratie, et ne peut pas être confiée à l’Etat.(...)

les attentats commis contre Charlie Hebdo et contre l’épicerie juive de Vincennes ont remis le sujet de la confusion de l’antisémitisme et de l’antisionisme sur le devant de la scène. Manuel Valls a pu profiter des tristes événements pour rappeler sa position. "L’antisémitisme, le racisme, les actes anti-chrétiens sont des délits. Il y a un an face à Dieudonné, je me suis senti un peu seul", a-il déploré dès le samedi 10 janvier, au lendemain de l’opération menée avec succès contre les frères Kouachi et Amedy Coulibaly.

La tentation de censurer les discours antisionistes (dont il faut rappeler et marteler qu’ils sont absolument légaux en ce qu’ils se contentent de contester une politique pour ce qu’elle produit et non un peuple pour ce qu’il est) n’est pas nouvelle, ni une exclusivité de Manuel Valls. En juillet 2013, l’ancien ministre et actuel député UMP Frédéric Lefebvre avait dit vouloir "éradiquer la propagande antisioniste" sur Internet.

Tant que la justice reste garante de la nécessaire distinction entre antisionisme et antisémitisme, ces discours politiques restent sans grande conséquence. Cependant si la proposition de Christiane Taubira de confier au ministère de l’intérieur le soin de qualifier lui-même les sites qu’il estime être antisémites, et d’en ordonner le blocage immédiat, le risque d’une dérive attentatoire à la liberté d’expression devient extrêmement fort.