
De la patronne des députés Renaissance, qui profite de l’attaque pour faire taire les oppositions, à l’extrême droite, qui remet sur la table son agenda xénophobe et suprémaciste, il ne s’est pas passé quelques heures jeudi avant que les surenchères et l’indécence envahissent les réseaux comme les plateaux.
La peur est mauvaise conseillère et l’effroi est l’assurance du pire. Dans une France déjà sous tension (inflation, réforme des retraites, autoritarisme au sommet de l’État, etc.), la dramatique attaque jeudi à Annecy d’enfants en bas âge par un demandeur d’asile syrien a donné lieu, en à peine quelques heures, à un déferlement de surenchères xénophobes, de récupération malsaine et d’indécence calculée.
Première à dégainer : la patronne des député·es Renaissance. Aurore Bergé a tenté de profiter – le mot n’est pas trop fort – du drame pour clore la mobilisation politique contre la réforme des retraites, alors que le texte du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot), destiné à abroger la loi, promettait des heures de débats enflammés à l’Assemblée nationale.
« Être en ce moment dans l’hémicycle avec une espèce de bataille de chiffonniers sur une recevabilité ou non d’amendements nous paraît en total décalage par rapport à l’effroi qui submerge notre pays », a-t-elle lancé, suscitant immédiatement des réponses indignées de l’opposition.
Juste après le drame, et alors qu’on ne disposait encore que de très peu d’informations, la droite et l’extrême droite ont d’abord pointé, dans un réflexe pavlovien, le terrorisme islamiste. Sans autres renseignements, le président du parti Les Républicains (LR), Éric Ciotti, s’est présenté face aux journalistes pour signaler « un profil [qui] ne laisse pas indifférent », dénoncer une menace pour « notre civilisation » et qualifier le drame d’« acte terroriste ».
Au même moment ou presque, Jean Messiha, ancien du Rassemblement national (RN) passé un temps chez Reconquête, et dorénavant électron libre de l’extrême droite de plateau, décryptait sur Twitter les premières images de l’attaque, concluant au fait que l’assaillant « porte un bandeau sur le front ressemblant à celui, vert, des djihadistes islamiques ». Le vice-président de Reconquête, Guillaume Peltier, dénonçait de son côté « l’islamisme conquérant ». (...)
Les heures passant, et le profil de l’assaillant se clarifiant, la droite et l’extrême droite ont adapté leurs arguments : l’homme étant demandeur d’asile – sa demande a été rejetée par la France quatre jours plus tôt –, l’occasion est trop bonne de s’adonner à la surenchère en termes de politique migratoire.
D’autant que le débat a déjà été largement relancé ces dernières semaines : par le pouvoir d’abord – pour faire oublier la réforme des retraites –, par la droite ensuite – pour se redonner un peu de surface médiatique et politique –, par l’extrême droite enfin – car c’est son fonds de commerce. (...)
Chevalerie et port d’arme
Ce n’est pas le seul bug dans la machine huilée de la haine. Le fait que l’assaillant se soit déclaré chrétien de Syrie lors de sa demande d’asile, ou qu’il ait crié « In the name of Jesus Christ » lors de l’attaque, aurait pu ou dû calmer quelques ardeurs. Ce ne fut pas le cas. Éric Zemmour estime tout simplement qu’il n’est « pas sûr qu’il soit vraiment chrétien ». « Il s’est déclaré chrétien comme d’autres se déclarent homosexuels car ils ont compris que [ce sont] les catégories que l’on accueille plus favorablement », explique-t-il sur CNews.
Du côté du RN, où la religion compte beaucoup quand il s’agit de l’islam, on ne s’émeut pas plus que ça (...)
Fort heureusement, le jeune homme de 24 ans qui a tenté d’arrêter l’assaillant s’avère être un pèlerin, un vrai. « Il faisait le tour de France des cathédrales, il est chrétien, lui », se félicite Jean Messiha, qui s’interroge dans la foulée : « Qui le dit ? »
Tout le monde en fait, toutes les chaînes d’info, tous les comptes Twitter de la droite et de l’extrême droite en tout cas. Figure de la fachosphère, Damien Rieu – qui quelques heures auparavant diffusait la vidéo, atroce, de l’attaque – salue « son courage admirable ». Le député LR Jean-Louis Thiériot estime qu’il « est des figures de lumière ». Et l’eurodéputé RN Thierry Mariani parle carrément de « l’esprit la chevalerie au XXIe siècle ».
Dans un partage des rôles désormais bien rodé, la droite la plus extrême a poussé un cran plus loin la logique de l’affrontement généralisé des civilisations. Jean Messiha regrette que l’assaillant, « cette raclure », « n’ait pas été buté direct ». « En l’état actuel des choses, je fais plus confiance à la police qu’à la justice pour régler définitivement ce type de problème », ajoute-t-il.
Sur les fils Telegram de la droite identitaire et suprémaciste, l’ancienne porte-parole de Génération identitaire, Thaïs d’Escufon, estime qu’« une reprise en main virile de notre civilisation est plus que jamais nécessaire » et que « seule la force triomphera de ces barbares ». (...)
Jeudi soir à Annecy, une trentaine de personnes se sont réunies à l’appel d’organisation d’extrême droite, malgré une interdiction de manifester prononcée par le ministère de l’intérieur, aux cris de « la France aux Français ». Vendredi à Lyon, un square a été déclaré « fermé jusqu’à nouvel ordre » au public par le mouvement d’extrême droite local Les Remparts « en raison de la présence de migrants et de la récente attaque au couteau à Annecy par un migrant syrien ». Tandis que le fil LaCagoule1938 dissertait sur le port d’arme.