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Slate.fr
Après CNews, Valeurs actuelles est la nouvelle cible des Sleeping Giants
Article mis en ligne le 2 décembre 2019

Le but de ces activistes : responsabiliser les marques qui achètent des publicités dans des médias diffusant des discours de haine.

Après Boulevard Voltaire, Breiz Atao et plus récemment l’émission avec Éric Zemmour sur CNews, les Sleeping Giants, des activistes anonymes qui veulent lutter contre le financement des discours de haine sur internet et dans les médias, ciblent désormais un journal. Depuis ce lundi 2 décembre au matin, le collectif a lancé une nouvelle opération contre Valeurs actuelles, dont il estime que le contenu n’a « rien à envier » à celui des publications d’extrême droite comme « Boulevard Voltaire, Minute ou Rivarol ».

Ces derniers mois, la méthode de ces activistes a été abondamment décortiquée. Dans les grandes lignes, leur objectif est de « taper au portefeuille », afin de tarir les sources de ce que d’aucuns appellent « l’argent de la haine ».

Concrètement, les activistes choisissent une cible propageant, selon leur opinion, des discours de haine (site internet, émission télé, etc.) et répertorient les entreprises dont les publicités sont, bien souvent à leur insu, accolées à ce contenu. Le collectif interpelle alors publiquement ces marques sur Twitter et les invite à faire leur choix en toute connaissance de cause : maintenir leurs pubs, au risque de voir leur image associée à ce contenu, ou les déprogrammer, si elles considèrent que cela contrevient à leur éthique. (...)

« Se taire reviendrait à cautionner » (...)

« En télévision, quand une marque profite de l’audience générée par le buzz de propos abjects, elle paie proportionnellement à cette audience, donc elle amène plus d’argent à la chaîne et récompense ainsi sa stratégie », souligne Rachel*, au nom des Sleeping Giants français, pour expliquer l’action contre l’émission d’Éric Zemmour. « L’argent de son budget publicitaire, ce sont les consommateurs, vous, nous, qui le leur procurons. Se taire reviendrait à cautionner également. C’est un droit et un devoir de se faire entendre, de demander à la marque de se positionner, de montrer que si elle a signé une charte éthique en interne, ce n’est pas pour financer exactement l’opposé. »

Une méthode simple mais qui a un gros impact. Outre la forte couverture médiatique de l’opération Zemmour, en quelques semaines seulement les Sleeping Giants ont atteint leur but. La majorité des annonceurs s’est retirée et il ne reste plus guère que le groupe Canal (auquel appartient CNews) pour continuer à diffuser de la publicité autour de l’émission. Une fuite qui représente une importante perte de revenu pour la chaîne. Combien précisément ? Silence radio du côté du groupe Canal, mais La Lettre A avance le chiffre de 600.000 euros. (...)

« Nous désirons seulement que les sources de financement soient informées et consentantes. »

Rachel, activiste membre des Sleeping Giants
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« Dans notre petit groupe, certains pensaient que Valeurs actuelles était simplement une publication avec une orientation politique marquée, qui de temps en temps commettait quelques “dérapages”, dont certains sanctionnés par des condamnations tout de même. Mais en nous y penchant de plus près, en lisant les articles publiés, en constatant par exemple le soutien et partage systématique des propos d’Éric Zemmour, nous nous sommes rendus compte que ce n’était pas ça. Nous ne savons pas si c’est récent, si cela s’est amplifié ces dernières années ou ces derniers mois, mais la plupart des articles reprenaient telles quelles la rhétorique, les théories complotistes, l’intolérance et l’accumulation de faits divers orientés que nous n’avions rencontrés que sur les pires blogs extrémistes », explique l’activiste.

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Assécher les revenus publicitaires

L’action de Sleeping Giants n’est, selon Rachel, « pas de la censure, mais du bon sens économique » car, dit-elle, « la monétisation d’un site par la publicité n’est ni un droit, ni l’assurance de recevoir un revenu quel que soit le contenu qu’on diffuse ». « Nous sommes nous-mêmes des consommateurs, souvent des clients de ces marques, insiste l’activiste. Faudrait-il que nous n’ayons pas le droit de les prévenir de la nature de l’environnement de leur publicité ? Cette information devrait-elle rester secrète et ceux qui, comme nous, en font état devraient donc être empêchés de le faire ? Écrire “votre bannière publicitaire est visible sur Valeurs actuelles”, fait public et vérifiable, devrait-il être interdit ? Quel précédent cela poserait-il ? Où se situerait alors la censure ? »

Les Sleeping Giants ont connu des succès notables. Le mouvement, créé aux États-Unis en 2016 dans la foulée de la victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine, a tout d’abord réussi à faire déguerpir presque tous les annonceurs du site de désinformation de l’alt-right US Breitbart News.

Cette plateforme d’extrême droite, dont il se dit qu’elle a contribué à faire élire Trump, cumulait des audiences considérables qu’elle monétisait alors par la publicité. Une manne dont elle s’est vue priver « à 90% » du fait de l’action des Géants endormis, de l’aveu même de Steve Bannon qui a dirigé le site. (...)

« Nous ne harcelons pas, ne menaçons pas, n’insultons pas. Nous émettons des alertes. »

Rachel, activiste des Sleeping Giants
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Responsabiliser les annonceurs

La méthode a fait ses preuves, et essaime donc. Le projet Stop hate money, piloté par l’universitaire Tristan Mendès France, a ainsi vu le jour cet été avec l’objectif lui aussi de « responsabiliser les acteurs et les intermédiaires financiers qui facilitent (parfois sans le savoir) la propagation des discours de haine en ligne ».

Alors qu’elle se refusait à l’origine à interpeller publiquement ces acteurs, l’initiative a finalement emboîté le pas des Sleeping Giants et a lancé il y a quelques jours une opération visant Wikistrike (au contenu complotiste et haineux) et reprenant leur stratégie. Et là encore le succès est au rendez-vous : des marques ont déjà confirmé leur retrait du site.
(...)

C’est en s’attaquant au très médiatique Éric Zemmour, homme condamné pour provocation à la haine raciale, que les Sleeping Giants ont surtout fait parler d’eux. Revers de la médaille : après les menaces de dépôts de plaintes par Boulevard Voltaire, le groupe Canal envisagerait lui aussi de porter l’affaire devant la justice via « une action civile en responsabilité délictuelle pour appel fautif au boycott ».

Une accusation que récusent les Sleeping Giants. « Nous sommes extrêmement soucieux de l’éthique de nos actions. Nous ne harcelons pas, ne menaçons pas, n’insultons pas. Nous émettons des alertes, nous informons des marques de la présence de leur publicité auprès d’un contenu qui, d’après nous, nuit à leur image et n’est pas digne d’être financé par elles. Quand les marques refusent d’agir, nous n’insistons pas. Au contraire du “name and shame” [“nommer et blâmer/couvrir de honte”], nous valorisons les annonceurs qui s’engagent pour des valeurs, nous faisons activement du “name and praise” [“nommer et louer/valoriser”] », insiste Rachel.

Contacté ce lundi 2 décembre au matin, Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, a réagi en dénonçant des méthodes qualifiées de « terrorisme intellectuel » et un « sabotage industriel ». « Nous ne comptons pas porter plainte mais nous allons nous battre sur le fond, car ces méthodes sont scandaleuses », ajoute-t-il. Puis de conclure : « Nous allons riposter en enquêtant sur ces gens. »