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Amiante, pesticides : « On ne peut pas avoir le droit de tuer impunément derrière les portes des usines »
Article mis en ligne le 3 novembre 2017

Ouvriers de l’amiante, salariés d’usine agro-alimentaire ou agriculteurs, ils sont tombés malades suite à leur empoisonnement sur leur lieu de travail. Dans les salles à partir du 8 novembre, un documentaire, Les sentinelles, raconte leur combat pour faire interdire l’amiante, l’exposition aux pesticides ou obtenir réparation de la part des industriels qui les ont intoxiqués, le plus souvent en toute connaissance de cause. Bastamag s’est entretenu avec son réalisateur Pierre Pézerat, par ailleurs fils d’Henri Pézerat, toxicologue qui révéla le scandale de l’amiante.

(...) Pierre Pézérat : Quand le flocage d’amiante a commencé à tomber à Jussieu, et que des chercheurs ont été atteints de maladies, Henri Pézerat a aussitôt pensé aux ouvriers qui avaient été en contact permanent avec cet amiante, se disant qu’ayant été davantage exposés que les chercheurs, ils devaient avoir développé encore plus de maladies, et sans doute plus gravement. C’est ainsi que la mobilisation contre l’amiante a pu prendre de l’ampleur et mener à son interdiction. (...)

Les ouvriers sont des sentinelles du milieu environnemental : à chaque fois qu’il y a un empoisonnement derrière un poste de travail, on peut être sûr que quelques années plus tard, il y en aura parmi le reste de la population. Le dossier des pesticides l’illustre très bien. Les maladies professionnelles donnent l’alerte d’un empoisonnement bien plus large. Raison de plus pour aller déterrer les atteintes à la santé qui restent cachées dans le monde du travail. (...)

Mon père a longtemps été perçu comme quelqu’un de dangereux par les syndicats. Josette, leader CGT chez Amisol (usine de fabrication de matelas, tresses et bourrelets à base d’amiante) raconte à quel point elle et ses collègues regardaient ce chercheur parisien avec méfiance. Car ce qui était important pour elles, et pour leur syndicat, c’était de conserver leur emploi.

Henri Pézérat leur a toujours répondu que, avant de se soucier d’emploi et de salaires, il fallait se soucier des conditions de travail, parce que là, c’était leur vie même qui était en jeu. (...)

Pour l’amiante, tout a basculé après son interdiction en 1997. Les salariés n’avaient plus peur de perdre leur travail. Ils ont adhéré aux associations, ont fait des examens médicaux… (...)

Prenons les salariés de chez Triskalia, qui ont été intoxiqués par des pesticides pulvérisés sur des céréales : ils ont été traités comme des chiens, et ont retrouvé leur dignité d’humains en luttant. Quand on est ensemble, on se rend compte que l’on a des points communs : cette façon, notamment, dont on se sent individuellement attaqué dans ce qu’on est, dans sa chair. Les autres apportent un réconfort affectif et humain indispensable. Tout seul, c’est trop dur.

Prenons par exemple les convocations pour les reconnaissances en maladie professionnelle : on fait face, seul, à trois médecins experts qui essaient de vous coincer, en vous faisant passer soit pour quelqu’un qui veut récupérer de l’argent, soit pour une personne psychologiquement fragile. Ce sont des moments très difficiles, et très perturbants pour les malades, qu’ils soient salariés ou agriculteurs indépendants. Ils sortent parfois en se demandant s’il n’y a pas un soupçon de vérité dans ce que sous-entendent les médecins conseils. Sans le collectif, ces moments sont insupportables. (...)

Du point de vue du rapport de force ensuite, les victimes sont beaucoup plus efficaces quand elles se regroupent : elles ont un pouvoir de mobilisation médiatique très important, et la possibilité de saisir des avocats. Ajoutons que les actions collectives ne sont pas simplement plus efficaces politiquement, elles apportent aussi des moments de bonheur.(...)

Il y a vraiment une volonté politique, en France, de ne pas toucher aux intérêts des industriels.

Les ordonnances signées par Emmanuel Macron portant sur la réforme du code du travail renforcent-elles cette impunité ?

La plupart des salariés qui travaillent sur ces questions de santé sont membres des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), seul espace où l’on pouvait discuter de santé au travail, et faire changer les choses. Les CHSCT ont permis à des ouvriers de développer des tas de compétences, mais aussi de financer des expertises indépendantes sur la mesure de la qualité de l’air, ou d’autres sujets liés à la santé des travailleurs. La suppression de ces enquêtes va faire disparaître la preuve qu’un milieu de travail peut être toxique. Les CHSCT, c’était vraiment une bonne réforme de la gauche. C’est un scandale de les supprimer, et je m’étonne de l’indifférence incroyable face à la disparition de cet outil. (...)

Amiante, pesticides, nucléaire... c’est toujours la même histoire : au nom du profit, on se donne le droit de tuer ou d’empoisonner, en brandissant la pancarte de la sauvegarde de l’emploi. La sauvegarde de l’emploi, c’est vraiment un parement pour déguiser la volonté de faire davantage de profit. La preuve : sur le dossier amiante, les industriels savaient depuis longtemps quels matériaux de substitution utiliser. Simplement, cela coûtait 30% de plus. Ils ont donc préféré continuer à empoisonner sciemment les ouvriers.

Le chantage à l’emploi est pratiqué par les industriels, mais aussi par les pouvoir publics. Et c’est dans la tête de tout le monde : sans emploi, on n’est rien. (...)

Il faut que la société s’en mêle. Qu’elle dise haut et fort que l’on ne peut pas avoir le droit de tuer impunément derrières les portes des usines.

Les syndicats doivent également se mobiliser plus fortement. Ils ne sont pas toujours au clair, c’est le moins que l’on puisse dire, avec la défense des salariés victimes d’empoisonnement au travail. (...)