
(...) Elle débute son intervention en rappelant la centralité du concept de l’ « intersectionnalité » : les rapports sociaux de sexe, de race, de classe sont imbriqués, liés. Ils se façonnent les uns les autres et interagissent entre eux constamment. Ensemble ils forment des systèmes de domination (cf. le sexisme, le racisme et le capitalisme) qui touchent quasiment chacun-e d’entre nous. On ne peut lutter contre l’un de ces systèmes en négligeant les autres. Cela n’aurait pas de cohérence en terme de changement radical de société et comporterait le danger de renforcer les systèmes non soumis à notre action collective (ex : lutter seulement contre les rapports de classe peut renforcer le racisme et le sexisme).
Après cette mise au point, Jules Falquet aborde la thématique de la mondialisation néo-libérale et des femmes. Cette mondialisation débute dans les années 90 avec la chute du mur de Berlin. Elle produit exode rural, relocalisation industrielle et privatisations massives des services publics où la majorité des travailleurs sont des travailleuses. Cette privatisation a créé une crise du « care » (traduction en français : « prendre soin des autres » : rôle dévolu selon l’organisation patriarcale depuis des millénaires aux femmes). Pour y suppléer, fut organisé un vaste transfert de la main d’oeuvre féminine des pays du Sud vers le Nord ou vers les métropoles du Sud pour aller travailler dans les emplois de services privatisés, pour exécuter un travail de reproduction sociale antérieurement assuré en partie par l’Etat. Si les femmes forment la main d’oeuvre du néolibéralisme (travailleuses prédominantes dans les usines d’assemblage, les services, le tourisme, le sexe,…), elles sont en même temps empêchées de circuler par des lois migratoires fortement en leur défaveur. On assiste ainsi à une hétérosexualisation de la circulation des femmes : elles peuvent circuler seulement pour se marier, pour rejoindre le père ou pour se vendre sur un marché du travail néolibéral très sexué. Ces mouvements contraints des femmes rendent leur travail moins cher et les rend plus dociles.
Si les femmes génèrent des richesses considérables (elles sont en quelques sortes les poules aux oeufs d’or du marché globalisé), la mondialisation ne leur a pas permis d’améliorer leurs conditions de vie et encore moins de s’émanciper. Elle a juste renforcé les inégalités, tous les écarts se sont creusés.
De plus, Jules Falquet insiste sur l’aspect guerrier du capitalisme qui gouverne le marché et s’empare des ressources. (...)
Les premiers adversaires de « l’axe du bien » sont les citoyen-ne-s. Cette guerre dirigée contre la main d’oeuvre est une occasion de renforcer le complexe militaro-industriel, acteur économique considérable (la France est le troisième vendeur d’armes au monde, des fabricants d’armes contrôlent les médias) et très masculinisé (le patronat de ce secteur est quasi exclusivement composé d’hommes et s’adresse à une clientèle masculine : vigiles, gardiens, soldats, délinquants, police, narcotrafiquants, etc.). Les hommes en armes vivent sur le dos des femmes de service !
Elle conclut en revenant sur le concept d’ « amalgame conjugal » développé par l’anthropologue italienne Paola Tabet. Il s’agit d’un continuum de l’échange économico-sexuel : les épouses échangent l’amalgame conjugal (le travail domestique, procréatif, émotionnel, etc.) en échange d’un « entretien » (compensation donnée par le mari comme aller au restaurant, au cinéma, ...). Jules Falquet prend le contrepied de cette théorie pour parler de « désamalgame conjugal » : certaines femmes décident de se « désamalgame » et séparent des formes de travail reproductif pour les échanger contre un salaire (ménage, sexe).
La mondialisation pousse-elle les femmes vers un désamalgamage conjugal, vers une marchandisation du travail reproductif ? En tous les cas, pour un homme, cela va être plus intéressant d’aller voir les prostituées, de faire un enfant tout seul...que d’entrer en liaison de type « marital » pour bénéficier de l’amalgame conjugal. (...)
Quel lien entre le capitalisme et l’avancée des droits des femmes ?
Au moins la mondialisation a fait entrer les femmes sur le marché du travail rémunéré mais elle ne leur a concédé que la partie la plus précaire et la moins valorisée. La mondialisation a bien plus produit une transformation qu’une amélioration des rapports sociaux de sexe.
L’éducation, la transmission du savoir échappe de plus en plus aux parents et aux institutions publiques (écoles). (...)
Toutes personnes voulant voyager/migrer font les frais des logiques de guerre, connaissent d’innombrables difficultés à circuler. Ces mesures sécuritaires font en sorte que la population civile est traitée comme étant ni plus ni moins terroriste.
La projection d’un film sur les alternatives développées par des agricultrices en Bolivie face au changement climatique introduisit l’exposé de Carla Sandoval. Elle partagea ensuite les défis que rencontrent les femmes en Amérique latine dans le contexte néo-libéral actuel. La déstructuralisation de l’Etat providence amorcée dès les années 80 n’a fait qu’accroître les inégalités. Politiques néolibérales et extractivistes sont synonymes de féminisation de la pauvreté et de la migration, de délocalisation de la main d’oeuvre féminine, de violence structurelle contre les femmes (Guatemala, Salvador, Honduras) en corrélation avec la pauvreté qui s’étend sans cesse.
La pensée féministe en Amérique latine émerge dans un environnement socio-économique différent qu’en Europe. Elle est critique, contre-hégémonique et contre-culturelle. Elle veut transformer l’économie et fortifier les cadres existants d’économie solidaire. Les niveaux macro, méso et micro sont liés, en interrelation. Elle se propose de déconstruire le système patriarcal et de lutter conjointement contre la triple discrimination de race, de sexe et de classe. L’omnipotence de l’économie du marché est dénoncée et combattue. (...)
La pratique du troc, des productions et échanges non-marchands et la création de coopératives féminines constituent quelques-unes des alternatives mises en place par des mouvements de femmes en Amérique latine. Elles s’inspirent généralement de l’économie solidaire.
Les modèles de développement proposés par les féminismes en Amérique latine sont des modèles transdisciplinaires ne relevant pas seulement de l’économique (mais intégrant l’histoire, l’anthropologie, la sociologie, ...). Ils promeuvent la solidarité inclusive ainsi qu’une déconstruction du mythe de la famille nucléaire hétérosexuelle.
Le Modèle du « Buen vivir » est très fortement relayé par les mouvements féministes en Bolivie et Equateur. (...)