
À l’origine de graves conséquences sociales et environnementales, le changement climatique nous oblige à modifier notre matrice énergétique, sinon à revoir de fond en comble notre modèle de développement. Pour ce faire, une période de transition sera nécessaire, qui passera par une multiplicité d’initiatives. Dans la région ando-amazonienne, le buen vivir constitue un cadre approprié pour mener à bien ces réformes1.
Le changement climatique s’impose comme une limite claire au développement. La nécessité d’une modification de la matrice énergétique est donc sans appel. Le problème est de savoir comment et de quelle manière impulser cette mutation. Pour surmonter la crise du changement climatique, l’attitude la plus commune consiste à promouvoir des politiques basées sur l’efficience énergétique et l’accès aux énergies renouvelables, tout en veillant à maintenir la croissance économique.
Mais cette stratégie a un coût qu’aucun pays n’est disposé à payer seul, au risque de détériorer son niveau de compétitivité sur le marché mondial. Un accord global permettant de mettre en œuvre cette transition de manière équitable s’avère donc nécessaire. C’est là l’un des plus grands défis auxquels doit faire face la Convention sur le changement climatique, un défi d’autant plus grand que l’équité revêt une signification différente pour chacune des parties prenantes.
Il y a pourtant un autre défi plus important encore : quel que soit le sens que l’on donne au terme « équité », on se réfère généralement à un état où toutes les parties accéderaient de façon équitable au « développement », celui-ci étant compris comme l’accès au niveau de confort, de technologie et de consommation des pays dits « développés ». Or, la réalité montre que les ressources disponibles ne suffiront pas à satisfaire la demande globale d’énergie au moyen des seules énergies renouvelables.
Les scénarios « alternatifs » visant une croissance économique « durable » prévoient certes une augmentation des ressources renouvelables (telle que le propose l’« économie verte », par exemple), mais ne prennent pas en compte les limites physiques des ressources2 ou l’impact environnemental de leur exploitation (Honty, 2014). Et les autres scénarios – tel que le « scénario 450 » de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) – ne sont envisageables que si l’on recourt massivement aux méthodes de capture et de stockage du carbone, à l’énergie nucléaire et aux grands barrages, autant de technologies qui induisent des risques environnementaux graves.
Rappelons en outre que les mesures visant l’efficience énergétique peuvent également induire un « effet rebond », susceptible d’accroître la consommation d’énergie plutôt que de la réduire, comme nous l’enseigne l’histoire de l’énergie3. (...)
Nous présenterons ici quelques alternatives au développement visant le buen vivir. Cette notion tombe à point nommé dans la mesure où elle offre un cadre à l’élaboration de nouvelles pistes pour lutter contre le changement climatique et permettant de modifier de fond en comble notre matrice énergétique. En Équateur et en Bolivie, le concept de buen vivir est reconnu par la Constitution, tout en étant défendu par de larges secteurs de l’opinion publique. Dans ces deux pays, les alternatives au développement ne sont pas discutées comme des possibilités, mais ont déjà donné lieu à des avancées concrètes. (...)
L’idée de transition doit être précisée eu égard à certaines conceptions récentes. Commençons par souligner que cette notion se distingue de celle de décroissance, formulée dans certains pays européens. Les propositions en faveur de la décroissance sont ancrées dans une situation propre aux pays industrialisés, très consuméristes, et sont liées à un contexte de crise économique et politique sévère vécue par beaucoup de ces pays. Aussi, ne peuvent-elles pas être transposées de façon simpliste aux contextes sud-américains.
En outre, la conception de la transition que nous défendons ici ne se centre pas sur l’opposition entre croissance et décroissance. Certains secteurs de nos économies devront sans nul doute décroître, mais il est clair aussi que d’autres secteurs devront se développer, par exemple, le secteur des infrastructures dans les domaines de l’éducation ou de la santé. Et cela générera certainement du développement économique. (...)