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le monde diplomatique
Agent orange, Monsanto en accusation
Article mis en ligne le 7 février 2017
dernière modification le 2 février 2017

Si, en mai 2016, la visite au Vietnam de M. Barack Obama, alors président des États-Unis, a marqué une nouvelle étape dans le rapprochement entre les deux pays, le problème de l’agent orange est resté en suspens. Ce défoliant massivement utilisé durant la guerre contenait une substance extrêmement toxique, la dioxine, qui a des effets encore aujourd’hui sur la santé et sur l’environnement (1).

Une plainte contre les fabricants du défoliant, soit vingt-six sociétés, dont Monsanto et Dow Chemical, a été déposée aux États-Unis par l’Association vietnamienne des victimes de l’agent orange/dioxine (VAVA) début 2004.

Mais elle a été rejetée en première instance en mars 2005, en appel en février 2008, et enfin par la Cour suprême en février 2009.

Les victimes n’ont pas renoncé pour autant. Française d’origine vietnamienne, Mme Tran To Nga a assigné en justice les sociétés américaines accusées d’avoir fourni à l’armée américaine cet herbicide devant le tribunal de grande instance d’Évry (Essonne — son département de résidence), en juillet 2014. En effet, depuis la loi de 2013, une victime de nationalité française peut saisir la justice française pour un tort commis par un tiers étranger à l’étranger.

Mme Tran To Nga, âgée de 74 ans, vient de publier son autobiographie, qui explique bien son parcours et les conditions dans lesquelles elle a été victime des épandages d’agent orange (2). (...)

Au soir de sa vie, cette « fille du Mékong », qui a lutté contre le colonialisme français puis contre l’impérialisme américain, entame donc un troisième combat, celui pour la justice. Pas seulement pour elle, mais pour toutes les victimes vietnamiennes de ce poison. « C’est la dernière contribution d’une vieille révolutionnaire. »
David contre Goliath

Le procès s’est ouvert le 16 avril 2015. Trois avocats la défendent : Mes William Bourdon, Bertrand Repolt et Amélie Lefebvre. Cinq audiences ont eu lieu, au cours desquelles les sociétés américaines ont adopté une tactique classique en demandant de multiples documents pour ralentir la procédure. (...)

Il a fallu attendre l’audience du 15 décembre 2016 pour que le dossier commence à être traité sur le fond : quelle est la responsabilité des sociétés dans ce drame ? Le combat de David contre Goliath risque de durer des mois.

La dioxine se dégrade lentement. On ne la trouve donc plus qu’à l’état de traces aujourd’hui au Vietnam, sauf dans les zones les plus polluées (...)

Certes, les États-Unis ne sont pas totalement absents des travaux de réparation. Depuis août 2012, ils participent au projet de décontamination de l’aéroport de Da Nang et d’aide aux populations riveraines, qui coûtera 43 millions de dollars. Un système de traitement thermique des sols infectés a été mis au point : les 30 hectares et les 70 000 mètres cubes de terre devraient être nettoyées d’ici 2018.

Après Da Nang, ce sera au tour de Bien Hoa (province de Dong Nai), dont l’aéroport était la base la plus importante en termes de nombre d’avions d’épandage, d’utilisation et de stockage de défoliants. La contamination y semble encore plus sévère et plus étendue qu’à Da Nang : environ 250 000 mètres cubes de terre devront y être traités. Le coût de l’opération, qui pourrait prendre plus d’une décennie, est estimé à plus de 85 millions de dollars.

Depuis 2002, les États-Unis participent à une structure officielle de concertation avec le Vietnam, le Joint Advisory Commitee on Agent Orange/Dioxin (4). Même s’ils n’ont toujours pas reconnu leur responsabilité dans cette guerre chimique, cette implication peut être considérée comme une façon non officielle d’admettre les dégâts causés par leurs épandages, et donc leur responsabilité. En contradiction avec leurs déclarations officielles. (...)

Cette dimension politique et diplomatique du problème représente sans doute le point le plus sensible et le plus délicat. Après la guerre, puis les années difficiles vécues jusqu’au Doi Moi (« renouveau »), en 1986, le Vietnam a voulu reprendre toute sa place dans la « communauté internationale ». Cela passe par une certaine normalisation de ses rapports avec les États-Unis. Il faut se rappeler que l’embargo économique et commercial décidé par Washington contre le Nord-Vietnam durant la guerre a été étendu en 1976 à l’ensemble du pays réunifié. Il n’a été supprimé qu’en février 1994 — sauf celui sur les ventes d’armes, que M. Obama n’a levé que lors de sa dernière visite. Les relations diplomatiques n’ont été rétablies qu’en 1995, avant qu’un traité commercial soit signé entre les deux pays en 2000. Il aura donc fallu vingt-cinq ans après la fin de la guerre pour revenir à la normale.

Les relations se sont alors fortement développées entre les deux pays, non seulement sur les plans économique et commercial, mais aussi dans divers domaines (...)

Complicité en France

L’affaire de l’agent orange ne concerne pas que le Vietnam. Le produit a également fait des dégâts au Cambodge et au Laos. Il a même été utilisé en Corée, le long de la zone démilitarisée entre les Corées du Nord et du Sud. Il a été testé au Canada (à Gagetown, New Brunswick) ainsi qu’en Thaïlande (près de Pranburi). Il a été stocké sur des bases militaires américaines, non seulement aux États-Unis (notamment sur l’atoll Johnston, dans le Pacifique, où les fûts inutilisés ont été stockés après la guerre), mais aussi dans d’autres pays, par exemple en Corée du Sud (Camp Carroll) ou au Japon. Malgré les dénégations des États-Unis, la présence d’agent orange à Okinawa est aujourd’hui clairement prouvée (6). La base de Kadena a même servi pour l’entraînement des personnels à l’utilisation des herbicides (avec des épandages à la clé), et pour le nettoyage et l’entretien des avions utilisés au Vietnam.

Les sociétés américaines assignées devant la justice française sont-elles les seules à avoir fabriqué l’agent orange ? Il semble qu’elles ont trouvé une complicité en France. (...)

Le dossier est donc particulièrement complexe. Et si Mme Nga écrit : « Mon histoire est banale », elle souligne toutefois : « Il y a des femmes, des hommes, des enfants, qui attendent que justice leur soit rendue. »