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« Affrontements entre Israël et Palestine » : 5 techniques de manipulation du langage au service des dominants
Article mis en ligne le 14 mai 2021

Il y a peu d’exemples aussi frappants du rôle du langage dans la déformation d’une réalité que celle de l’entreprise d’apartheid de l’Etat colonialiste d’Israël, pardon, du « conflit israélo-palestinien ».

Que s’est-il passé ces dix derniers jours au Proche-Orient ? Un quartier de Jérusalem est en train d’être vidé de ses habitants palestiniens au profit de colons israéliens, énième épisode d’un État colonial dirigé en ce moment par un gouvernement d’extrême-droite.

Les protestations des Palestiniens ont été violemment réprimées par la police israélienne. En représailles, des roquettes ont été tirées depuis la bande de Gaza, cette prison à ciel ouvert coupée du monde par un blocus israélien depuis plus de dix ans, et où la situation des habitants est devenue, aux dires de l’ONU, « invivable ». L’armée israélienne a répliqué par des bombardements, pardon, des « frappes » (plus précises, ciblées et plus « pro »).

Cet épisode d’une guerre coloniale que beaucoup d’entre nous ont toujours connu n’est pourtant pas décrit en ces termes. A lire la presse cette semaine, il y aurait à Jérusalem « des affrontements », des « heurts », une « escalade de la violence » entre deux peuples ennemis. Qu’importe qu’il y ait d’un côté des manifestants et de l’autre la police armée, d’un côté la bande de Gaza et de l’autre une puissance nucléaire. A entendre nos médias, on est dans une guerre à armes égales, voire avec un côté plus légitime que d’autre… Exemples : « International : pluie mortelle de roquettes sur Tel-Aviv, frappes musclées d’Israël sur Gaza », titrent Challenges, la Provence ou Nice Matin, reprenant une dépêche AFP. La mort d’un côté, les muscles de l’autre : la sacro-sainte « neutralité journalistique » en pleine action. Et sur France Info, on pouvait entendre que « l’aviation a mené des raids à Gaza et les groupes armés palestiniens bombardent Israël ». Vous avez dit « journalisme militant » ? 

(...) Hélas, le traitement médiatique de ce qu’il se passe en Israël et Palestine n’est qu’une illustration de plus de la faculté de notre classe dominante à déformer la réalité vue et vécue à son profit, en invisibilisant sa domination illégitime et en inversant la responsabilité de ses actions. Petit guide des procédés les plus répandus en la matière : (...)

1 – L’égalisation : il s’agit de décrire une situation de domination sous la forme d’une égalité de position et de responsabilité. 

(...) Dans un tout autre domaine, celui du travail, le terme de « partenaires sociaux » s’est imposé pour décrire les syndicats qui représentent les salariés et le patronat : non seulement l’expression masque tout lien de domination entre les deux, mais elle invente en plus un « partenariat »(...)

2 – L’inversion : il s’agit de transformer le dominant en victime et le dominé (ou l’exploité, opprimé, etc) en bourreau. 

Ce procédé a été utilisé contre tous les mouvements de résistance de notre histoire.
(...)

3 – La diabolisation et la déshumanisation : ces procédés relativement classiques en temps de répression consistent à attribuer des caractéristiques négatives aux résistants ou victimes et de leur retirer leur humanité dans le portrait que l’on fait d’eux. 

Cette déshumanisation, c’est parler « d’Arabe » au lieu de « Palestiniens », ce qu’utilise à outrance les autorités israéliennes, comme l’explique Xavier Guignard sur le réseau social twitter : « Les autorités israéliennes et sa large population parlent « d’Arabes », pour leur nier tout caractère national. L’Arabe, l’indigne, c’est l’autre ».
L’appellation de « terroristes » joue évidemment ce rôle, et tout journaliste digne de ce nom devrait toujours se poser la question de son emploi à chacun de ces moments.
(...)

4 – La complexification : procédé consistant à empêcher toute grille de lecture de la réalité et toute perception des rapports de domination au profit d’une affirmation du caractère « complexe » des choses, c’est-à-dire de l’impossibilité de dire quelque chose de clair et d’utile sur la société. 

(...)

5 – L’abstraction : procédé qui vise à noyer la responsabilité des dominants au sein de processus flous et grandiloquents où la volonté humaine n’a plus sa place. 

La guerre au Proche-Orient, c’est de « la folie humaine » en acte ! La « haine de l’autre », « l’escalade de la violence », au lieu de parler de « violence coloniale »…
(...)

Ces cinq techniques de négation des rapports de domination sont à l’œuvre pour justifier l’épisode actuelle de répression de la résistance palestinienne par le régime d’apartheid israélien, mais elles le sont aussi pour justifier le patriarcat, la domination bourgeoise, l’exploitation au travail ou le racisme structurel en France. Pour ne pas rester prisonnier de ces procédés, il faut les connaître et appliquer une vigilance constante des discours que nous tenons et qui nous sont diffusés. Et utiliser nos propres mots, ceux qui décrivent la réalité telle qu’elle est : traversée par des rapports de domination que l’on peut renverser et détruire.