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Non-Fiction
Actuel Moyen Âge : Vendre des hommes
Article mis en ligne le 24 novembre 2017
dernière modification le 23 novembre 2017

Les images récemment tournées par CNN et vues dans le monde entier font froid dans le dos : des hommes vendus aux enchères. « Des jeunes gens forts, pour le travail de ferme » dit le vendeur, et les prix montent jusqu’à ce que la vie d’un homme, noir de peau, passe en d’autres mains.

Nouveaux hommes, pratiques anciennes

On connaissait déjà le trafic des passeurs, qui s’enrichissent sur la misère, le désespoir et les espoirs de ceux qui quittent leur domicile pour chercher une vie meilleure ailleurs. Par ces quelques secondes de capture vidéo, les journalistes ont pu vérifier ce que les ONG et les migrants une fois arrivés disaient déjà : certains migrants d’Afrique subsaharienne, qui espéraient atteindre l’Europe et dont le chemin s’est arrêté en Lybie en raison du durcissement des contrôles douaniers, sont réduits en esclavage et vendus.
La scène rappelle des pratiques que tout être raisonné ne peut que souhaiter révolues et que même l’historien, qui goûte pourtant peu l’exercice, ne peut qualifier que « d’un autre temps ». D’un autre temps en effet, car sans doute sans le savoir, ces sinistres marchands d’homme libyens ressuscitent des pratiques et des réseaux qui animaient les côtes méditerranéennes de l’Afrique il y a plusieurs siècles.

Des routes d’esclaves bien connues

À la fin de l’Antiquité, le christianisme n’a jamais éradiqué le fait que des hommes possèdent d’autres hommes. (...)

Mais l’esclave au sens antique, que l’on fait travailler à l’atelier et dans la maison, n’a jamais disparu. Le haut Moyen Âge connait un grand commerce d’esclaves, capturés au fil des guerres. Toutefois, dès le VIIe siècle, les autorités religieuses n’acceptent plus le commerce de chrétiens qui reconnaissent l’autorité du pape. À l’époque de Charlemagne, on réduit facilement en esclavage les Saxons païens, puis les captifs slaves. Le terme sclavus, qui apparaît au Xe-XIe siècle, trahit d’ailleurs bien l’origine de la majorité de ces hommes, puisqu’il dérive directement de Slaves… La pratique se poursuit jusqu’à la fin du Moyen Âge. Dans la première moitié du XVe siècle, un grand marchand vénitien comme Giacomo Badoer, fait commerce de draps, d’huile, d’épices… et d’esclaves. Les Vénitiens sont particulièrement actifs pour acheter puis vendre des chrétiens hérétiques capturés dans les Balkans et des chrétiens orthodoxes.
C’est que, à partir de l’An Mil, les réseaux de la traite se sont nettement redirigés vers la Méditerranée. Les ports commerciaux comme Ceuta, Tunis, Tripoli ou Alexandrie sont fournis en esclaves noirs capturés dans deux espaces principaux de l’Afrique subsaharienne : les frontières des empires soudanais ainsi que du lac Tchad d’une part, la haute vallée du Nil et le Soudan d’autre part. (...)

Une bonne partie des subsahariens réduits en esclaves sont vendus en terre d’Islam : l’Égypte mamelouke ou l’empire Ottoman figurent parmi les deux plus grands espaces esclavagistes. À cette époque aussi, la Libye est l’une des plaques tournantes du commerce esclavagiste. (...)

Ainsi, avant les déportations massives vers les Amériques, l’esclavage est courant sur les rives méditerranéennes au Moyen Âge. Les hommes sont présents dans les grands domaines céréaliers ou dans les mines, surtout en Sicile, dans les îles Baléares, certaines zones du royaume de Valence et de l’Italie méridionale.

Les femmes, quant à elles, sont particulièrement demandées en ville et en particulier dans les grandes cités marchandes du nord de l’Italie. Elles deviennent servantes domestiques, nourrices, concubines dans les maisons des grandes familles. Les testaments des patriciens et des riches citoyens de cette époque regorgent de mention d’esclaves féminines, qui constituent l’écrasante majorité des esclaves vendus en Europe. Ces femmes sont fréquemment victimes des agressions, notamment sexuelles, de leurs maîtres, à qui elles ne peuvent rien refuser.

Aujourd’hui, d’après Gynécologie sans frontière, 70 % des migrantes ont payé en nature leur passage ou subi des aggressions sexuelles… (...)

On ne sait en réalité presque rien des conditions de vie concrète des esclaves médiévaux, de même qu’on a du attendre presque deux ans pour que les ONG soient crues, quand elles parlaient d’esclavage. Celui-ci est-il un sujet par nature invisible parce qu’il touche les plus fragiles et les plus insignifiants du point de vue des pouvoirs publics ?