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Non-Fiction
Actuel Moyen Âge - Des Tatares nommés Tsiganes
Article mis en ligne le 7 avril 2019
dernière modification le 5 avril 2019

La semaine dernière a été marquée par une série de violences contre les communautés « roms » en banlieue parisienne. Certains ont été pris en chasse par des groupes de personnes, parfois armées de bâtons, de couteaux ou de cailloux. La cause en serait la diffusion sur les réseaux sociaux de fausses rumeurs accusant les Roms d’avoir enlevé des enfants. Si leur mode de diffusion a évolué – le « retweet » a remplacé le « bouche à oreille » – ces fantasmes n’ont fait qu’actualiser un thème très ancien, longtemps associé aux juifs. Ils rappellent aussi que depuis le Moyen Âge, ces populations ont été perçues avec un mélange de méfiance, de haine et de fascination.

Des « gens du voyage » ?

Des « Tatars » aux « Romanichels » en passant par les « Égyptiens » (ou gipsy) et les « Bohémiens », les termes par lesquels on a désigné les communautés roms à travers les âges sont multiples. Ils renvoient au mystère qui plane autour de leurs origines, et y répondent en leur en assignant une – de manière plus ou moins arbitraire. De ce fait, ils tendent aussi à gommer la variété d’un groupe en réalité très disparate.

La présence de ces communautés en Occident n’est pas nouvelle : les premières sont attestées dans certaines chroniques allemandes dès le début du XVe siècle. On pense aujourd’hui pouvoir faire remonter leurs origines au Nord-Ouest du monde indien. (...)

Ces apparitions, qui donnent l’impression d’une pérégrination linéaire, ne doivent pas masquer le fait qu’au fil des siècles, les Roms se sont métissés et souvent adaptés aux sociétés qu’ils ont fréquentées. Au milieu du XVIe siècle, le cosmographe Sebastian Münster note ainsi qu’ « ils reçoivent de toute part les hommes et les femmes qui veulent se joindre à leur compagnie, en quelque pays qu’ils soient », et que bien qu’ils aient « forgé un jargon qui leur est propre, […] ils usent aussi de toutes les langues d’Europe ».

Méfiance et fascination

Dès leurs premières apparitions en Occident, les Roms suscitent un mélange de méfiance et de fascination. Dans un premier temps, les regards à leur encontre ne sont d’ailleurs pas entièrement négatifs : curieux plutôt. (...)

Les Roms semblent avoir présenté leurs voyages comme une pénitence que leur aurait imposée le pape, un argument que Sebastian Münster balaye d’un revers de main dans sa Cosmographie universelle (1556) : « Il y a longtemps que le temps de cette pérégrination est passé, et toutefois cette racaille ne cesse de trotter çà et là, de dérober, de mentir, de faire des prédictions et de dire la bonne aventure ». En cette période de crispation religieuse, leur apparence et leurs coutumes détonnent. À partir de la fin du XVe siècle, les condamnations sont unanimes : les chroniqueurs s’accordent à leur dénier toute foi chrétienne, quand bien même ils auraient fait baptiser leurs enfants.

Mais le rejet croissant des Roms s’explique surtout par leur nomadisme, à une époque où la réputation repose en grande partie sur les relations de voisinage et où le vagabondage tend à être criminalisé. À la fin du Moyen Âge, l’autorité royale se renforce ; la mobilité géographique et l’absence d’attaches sont dès lors perçues comme des entraves au contrôle que souverains et municipalités tentent d’imposer sur la population. (...)

Dans la première moitié du XVe siècle, il se trouve encore des souverains pour protéger les communautés roms et des villes pour les accueillir temporairement. Par la suite, les politiques princières se font nettement plus répressives. (...)

Malgré leur inadéquation supposée aux structures étatiques qui se mettent en place à la fin du Moyen Âge, les communautés roms existent encore et ont souvent conservé une langue et une culture propres, même si bien des traits qui leur sont attachés relèvent du fantasme. Ainsi la grande majorité des « gens du voyage » est-elle désormais sédentaire. Pourtant, au-delà des charmes fascinants d’Esmeralda – elle-même enlevée par les « Bohémiens » quand elle était enfant –, les Roms inquiètent par leur supposée différence, au point de faire encore aujourd’hui les boucs émissaires idéaux des accusations les plus fantaisistes. Une histoire qui malheureusement ne se répète que trop…