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RFI
Accueil de migrants évacués de Libye : « Un bon coup politique » pour le Rwanda
Article mis en ligne le 21 septembre 2019

Le Rwanda a signé il y a quelques jours à Addis-Abeba un accord avec le Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR) et l’Union africaine (UA) en vue d’accueillir des migrants bloqués dans l’enfer des centres de détention libyens. Camille Le Coz, analyste au sein du think tank Migration Policy Institute, décrypte cette annonce.

Cinq cent personnes vont être évacuées de Libye vers le Rwanda « dans quelques semaines », a précisé mardi Hope Tumukunde Gasatura, représentante permanente du Rwanda à l’UA, lors d’une conférence de presse à Addis-Abeba où avait lieu la signature de l’accord. (...)

En fait, tout commence en novembre 2017 après la publication par CNN d’une vidéo révélant l’existence de marchés aux esclaves en Libye. C’est à ce moment-là que Kigali se porte volontaire pour accueillir des migrants bloqués en Libye. Mais c’est finalement vers l’Europe et le Niger, voisin de la Libye, que s’organisent ces évacuations. Ainsi, depuis 2017, près de 4 000 réfugiés ont été évacués de Libye, dont 2 900 au Niger. La plupart d’entre eux ont été réinstallés dans des pays occidentaux ou sont en attente de réinstallation. Mais du fait de la reprise des combats en Libye cet été, ce mécanisme est vite apparu insuffisant. L’option d’organiser des évacuations vers le Rwanda a donc été réactivée et a donné lieu à des discussions avec Kigali, le HCR, l’UA mais aussi l’UE sur les aspects financiers.

Quel bénéfice le Rwanda peut-il tirer de cet accord ?

Pour le Rwanda, faire valoir la solidarité avec les migrants africains en Libye est un bon coup politique, à la fois sur la scène internationale et avec ses partenaires africains. La situation des migrants en Libye est au cœur de l’actualité et les ONG et l’ONU alertent régulièrement sur les conditions effroyables pour les migrants sur place. Donc d’un point de vue politique, c’est très valorisant pour le Rwanda d’accueillir ces personnes.

Que va-t-il se passer pour ces personnes quand elles vont arriver au Rwanda ?

En fait, ce mécanisme soulève deux questions. D’une part, qui sont les migrants qui vont être évacués vers le Rwanda ? D’après ce que l’on sait, ce sont plutôt des gens de la Corne de l’Afrique et plutôt des gens très vulnérables, notamment des enfants. D’autre part, quelles sont les solutions qui vont leur être offertes au Rwanda ? La première option prévue par l’accord, c’est la possibilité pour ces personnes de retourner dans leur pays d’origine. La deuxième option, c’est le retour dans un pays dans lequel ces réfugiés ont reçu l’asile dans le passé. Cela pourrait par exemple s’appliquer à des Érythréens réfugiés en Éthiopie avant de partir vers l’Europe. Ces deux options demanderont néanmoins un suivi sérieux des conditions de retour : comment s’assurer que ces retours seront effectivement volontaires, et comment garantir la réintégration de ces réfugiés ? La troisième option, ce serait la possibilité pour certains de rester au Rwanda mais on ne sait pas encore sous quel statut. Enfin, ce que l’on ne sait pas encore, c’est si des États européens s’engageront à relocaliser certains de ces rescapés.

Cet accord est donc une réplique de celui conclu avec le Niger, qui accueille depuis 2017 plusieurs milliers de réfugiés évacués de Tripoli ?

L’approche est la même mais d’après ce que l’on sait pour l’instant, les possibilités offertes aux réfugiés évacués sont différentes : dans le cas du mécanisme avec le Niger, les pays européens mais également les États-Unis, le Canada, la Norvège et la Suisse s’étaient engagés à réinstaller une partie de ces réfugiés. Dans le cas du Rwanda, on n’a pas encore eu de telles promesses. (...)

les garde-côtes libyens, financés par l’Europe, continuent d’intercepter des migrants qui partent vers l’Italie et de les envoyer vers ces centres de détention. En d’autres termes, cet accord apporte une réponse partielle et de court terme à un problème qui résulte très largement de politiques européennes. (...)

il est clair que ces dernières années, la politique européenne a consisté à passer des accords avec des pays voisins afin qu’ils renforcent leurs contrôles frontaliers. C’est le cas par exemple avec la Turquie et la Libye. En échange, l’Union européenne leur fournit une assistance financière et d’autres avantages économiques ou politiques. L’Union européenne a aussi mis une partie de sa politique de développement au service d’objectifs migratoires, avec la création d’un Fond fiduciaire d’urgence pour l’Afrique en 2015, qui vise notamment à développer la capacité des États africains à mettre en œuvre leur propre politique migratoire et à améliorer la gestion de leurs frontières. C’est le cas notamment au Niger où l’Union européenne a soutenu les autorités pour combattre les réseaux de passeurs et contrôler les passages vers la Libye. (...)

L’accord est entre le HCR, l’UA et le Rwanda. Mais le soutien financier de l’Union européenne paraît indispensable pour la mise en œuvre de ce plan. Reste à voir comment cela pourrait se matérialiser. (...)

C’est un signe positif que des pays africains soient plus impliqués sur ce dossier puisque ces questions migratoires demandent une gestion coordonnée de part et d’autre de la Méditerranée. Maintenant, il reste à voir quelles solutions seront offertes à ces 500 personnes puisque pour l’instant, le plan paraît surtout leur proposer de retourner dans le pays qu’elles ont quitté. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que la plupart des réfugiés africains ne sont pas en Libye, mais en Afrique. Les plus gros contingents sont au Soudan, en Ouganda et en Éthiopie et donc, les solutions durables sont d’abord et avant tout à mettre en œuvre sur le continent.

■ Un geste de solidarité de la part du Rwanda, selon le HCR

Avec notre correspondant à Genève, Jérémie Lanche

D’après le porte-parole du HCR Babar Baloch, l’accueil par Kigali d’un premier contingent de réfugiés est une « bouée de sauvetage » pour tous ceux pris au piège en Libye. L’Union européenne, dont les côtes sont de plus en plus inaccessibles pour les candidats à l’exil, pourrait financer une partie de l’opération, même si rien n’est officiel. Mais pour le HCR, l’essentiel est ailleurs. La vie des migrants en Libye est en jeu, dit Babar Baloch (...)

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