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Abandon de la surtaxe CO2 : faire payer les pollueurs industriels jusqu’ici exonérés
Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, Anthropocène, 2015.
Article mis en ligne le 6 décembre 2018

L’annulation des hausses de taxe sur les carburants va générer un manque à gagner de presque 4 milliards d’euros dans le budget de l’Etat, qu’Edouard Philippe prévoit de résorber par des « économies supplémentaires ». Alors qu’il suffirait de faire payer les entreprises les plus polluantes, jusqu’ici largement exonérées, et ainsi sauver le principe même de la fiscalité carbone.

C’est un point aveugle du débat sur la fiscalité carbone. Si le caractère socialement injuste de la taxe carbone a été largement débattu et commenté, l’assiette sur laquelle repose la fiscalité carbone en France est largement passé sous silence. Les exemptions existantes sur le kérosène et le fioul lourd ne sont en effet que la partie émergée de l’iceberg. L’essentiel des sites industriels et des entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre en France sont en effet exonérés de la taxe carbone payée par les ménages, les artisans et les petites entreprises. Soit presque 1400 sites, industriels ou non, qui représentent environ 107 millions de tonnes de C02 relâchés dans l’atmosphère en 2017, et en hausse de 5% par rapport à 2016 (données de l’Agence environnementale européenne).

Ménages taxés – Industriels exemptés

Pour les ménages, artisans et petites entreprises, c’est assez simple : chaque fois que l’on fait son plein de carburant – ou que l’on remplit sa cuve de fioul – on paie une taxe carbone sur chaque litre acheté. Pour les 1400 sites industriels les plus polluants du pays, la situation est bien plus avantageuse. Soumis au marché carbone européen, ils profitent en effet d’un prix de la tonne carbone bien plus faible – dans les rares cas où ils doivent payer – et de facilités auxquels les ménages, artisans et petites entreprises n’ont pas accès. (...)

Résultat : alors que le principe « pollueur-payeur » s’applique aux ménages, artisans et petites entreprises, c’est en fait le principe du « pollueur-payé » qui prédomine lorsqu’il s’agit des entreprises les plus polluantes. (...)

La multinationale Total, qui est le 19ème plus gros émetteur de gaz à effet de serre au monde entre 1988 et 2015, a reçu gratuitement, pour ses seules raffineries en France, 71% des quotas de pollution dont elle avait besoin en 2017 (78 % en 2016) pour avoir le droit de relâcher dans l’atmosphère des émissions de gaz à effet de serre. Le reste elle l’a acheté, à faible coût (entre 5 et 17 euros la tonne, soit de 3 à 6 fois moins cher que la tonne carbone pour les ménages). Coût pour les pouvoirs publics par rapport à une situation où Total paierait l’intégralité de la fiscalité carbone : environ 25 millions d’euros. (...)

Cette inégalité de traitement est indéfendable : elle justifie que soit mis en œuvre un rattrapage rapide et général pour que les industries les plus polluantes paient, a minima, le même niveau de fiscalité carbone que les ménages, artisans et petites entreprises. (...)

L’annulation de cette augmentation par Emmanuel Macron, désavouant au passage son premier-ministre qui n’avait jusqu’ici évoqué qu’une suspension de six mois, va donc constituer un manque à gagner pour l’Etat du même montant environ, soit 3,7 milliards d’euros, que le gouvernement va chercher à compenser afin de conserver un budget à l’équilibre. Deux options sont dès lors envisageables :

se lamenter sur la suspension de la taxe carbone comme le fait déjà une partie du mouvement écologiste et regarder le gouvernement rogner sur de nouvelles dépenses publiques importantes ;

ou alors, œuvrer, de manière collective, pour que le gouvernement instaure unilatéralement et immédiatement une taxe carbone complémentaire pour l’ensemble des sites industriels français soumis au marché carbone européen afin que chaque tonne de carbone relâchée soit taxée au même niveau que les carburants achetés par les ménages, artisans et petites entreprises ;

Cette troisième proposition, simple, a déjà été expérimentée et mise en œuvre au Royaume-Uni, pour leurs centrales électriques. Elle est donc possible. (...)

Cette proposition, qui a pour elle la force de l’évidence, mettrait fin au principe du "Pollueur - Payé" et d’enfin appliquer le principe du "Pollueur - Payeur" pour les entreprises les plus polluantes. Elle conduirait la France à s’équiper d’un dispositif climatique d’une toute autre ambition que le très défaillant marché carbone européen. (...)