
Hommage à Tzvetan Todorov, et plusAu milieu d’une oeuvre riche et généreuse sur la littérature et les questions sociales et politiques, en particulier sur les rapports passé / présent et identité / altérité, Tzvetan Todorov avait coordonné en 1999 un livre important dont le titre fait volontairement écho à La banalité du mal de Hannah Arendt : La fragilité du bien. précisément à l’un de ses livres, La fragilité du bien
Il s’agissait, pour le dire brièvement, de s’intéresser aux exceptions d’une règle qui est l’indifférence face à la persécution de l’autre, et la complicité active et passive face au mal porté par une autorité politique. En hommage à Tzvetan Todorov qui vient de disparaître, voici quelques réflexions sur un grand petit livre. (...)
La Bulgarie fut, avec le Danemark, le seul pays occupé dont la population juive n’a pas été déportée et exterminée. Le livre de Tzvetan Todorov s’attache à faire connaître cette exception et à en comprendre les raisons. Il propose un choix de documents d’époque (articles de presse, pétitions politiques, correspondance des dirigeants allemands et bulgares, etc.), précédés d’une introduction qui en rappelle le contexte. Ces documents montrent que le “miracle bulgare” s’explique par la mobilisation de tous en faveur de la minorité juive (...)
Le livre montre aussi les limites de “l’exception bulgare” : si les Juifs de nationalité bulgare furent sauvés, il n’en est pas allé de même des Juifs étrangers, dont les autorités acceptèrent l’expulsion vers des pays où aucune force importante ne s’opposa à la “Solution finale”. (...)
Ce que pourtant rappelle l’histoire bulgare, c’est que même dans un pays occupé par l’armée d’un régime tyrannique, une action de la société civile demeure possible et efficace.
Le livre de Todorov balaie d’autres idées reçues : l’idée que la passivité face à l’entreprise génocidaire pourrait s’expliquer, voire s’excuser, du fait de la “confusion de l’époque”, et l’idée que que la notion de “crime contre l’humanité” serait anachronique. (...)
Le “contexte de l’époque” s’avère en somme plus divers qu’on ne le pensait, et le contraste est même saisissant entre la rigueur intellectuelle et morale des organisations d’avocats bulgares et l’attitude de leurs homologues français, qui dès les années 1930, donc bien avant la défaite et l’occupation allemande, furent parmi les plus actifs militants en faveur des discriminations par la nationalité ou l’origine.
En mettant en évidence ce contraste, La fragilité du bien pose toute une série de questions : qu’est-ce qui explique que le climat intellectuel, moral et politique européen ait été si divers ? Qu’est-ce qui, dans l’histoire bulgare, a permis un courage et une lucidité hélas exceptionnelle en Europe ? Les explications avancées par Tzvetan Todorov méritent réflexion (...)