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A propos de l’accompagnement vers l’autonomie : entre idéaux et réalités
Article mis en ligne le 5 février 2018

Lors d’une conférence d’Automne de Renovation d’il y a quelques années, Jean-Pierre Lebrun disait qu’à son avis, notre monde tâtonnait, confronté à la tâche de construire une démocratie de Sujets - encore jamais advenue dans l’Histoire. Belle et improbable tâche, quand on est conscient des limites et des défis auxquels notre Humanité est confrontée, sans garantie de ne pas s’y perdre.

Mission impossible ? Mission paradoxale ?

L’enjeu de l’autonomie du Sujet et de sa participation à la construction d’une société humaine était au cœur de la conférence de ce mois de novembre 2017.

Au 18° siècle, on percevait l’autonomie comme l’affranchissement des lois émanant de pouvoirs de « droit divin », en tout cas extérieurs à l’humanité. Pour autant la domination sur les esclaves, les femmes, les enfants ne posait pas question. Pas encore.

Serge Champeau rappelle qu’être autonome aujourd’hui,en Démocratie , c’est obéir à des lois qu’on a contribué à élaborer et qu’on reconnaît comme légitimes. Obéir à des lois qu’on s’est données : il ne s’agit pas là de suivre son « bon plaisir », de s’imaginer « indépendant ». Pourtant c’est ce que tend à faire croire via la publicité, la société de consommation, et via la « com’ » des grandes entreprises, la société du Marché « soyez l’entrepreneur de vous-mêmes ». Injonctions paradoxales.

Aucun Sujet n’existe indépendamment de l’Autre, des autres. Avec qui il se construit, avec qui il construit la société. Mais la société est aussi déjà construite, sans faire sa place au Sujet, tout en proclamant ses idéaux démocratiques. Le Sujet, se voulant autonome, est vulnérable. A la naissance, le petit humain ne peut pas vivre par ses propres moyens, il grandit dans un contexte qui lui assigne place, identité, c’est à dire à la fois soutien indispensable et aliénation dont il lui faudra s’extirper pour accéder à la capacité d’être seul, même en présence des autres : autonomie jamais complètement acquise, toujours remise en chantier par la relation, toujours questionnée par son rapport à la société. « en démocratie la demande d’autonomie se fait entendre, mais l’autonomie politique semble se déliter à une vitesse inquiétante » : Être-devenir sujet autonome n’est pas un long fleuve tranquille.

Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est le Sujet : le sujet rationnel de Descartes ? L’individu libéral du Marché ? Pour nous, comme pour Claude Deutsch, c’est : Le Parlêtre, celui qui prend en compte l’inconscient, et au sérieux la Parole, la relation à l’Autre : « Rien, à notre sujet, sans nous ».

Ce choix, fondamental, fonde en particulier le travail des soignants, aux prises avec la plus grande vulnérabilité - Marie-Claude Vallejo le souligne beaucoup - et la plus grande importance de faire émerger, grandir et respecter le Sujet dans chaque patient. Mise à l’épreuve et en danger du soignant, lui-même Sujet vulnérable, au risque de la relation, dans le « séisme de la maladie ou de la blessure », au risque de perdre la bonne distance : sombrer avec le patient ou le fuir… tout en se confrontant à l’autre « séisme », celui des politiques publiques transformant l’hôpital en entreprise, pressant le soignant comme le patient de se transformer en « individus libéraux ».
Ce qui fait la différence naît dans les « petites choses » du quotidien vécu ensemble : reconnaissance mutuelle de Sujets autonomes.

« Transformer la relation asymétrique en relation de réciprocité ; lutter pour la reconnaissance de la différence ; lutter pour la reconnaissance de l’appartenance au genre humain. » Mais on ne peut pas envisager l’autonomie du seul point du vue du Sujet, il faut toujours le remettre dans le contexte. Qu’en est-il de son consentement ? De sa Reconnaissance juridique ? Pour Claude Deutsch, déclarer un patient « juridiquement irresponsable » est dangereux, cela ne peut que renforcer son déni. Le déclarer « incapable » est destructeur. S’il n’est pas « capable » temporairement, il le redeviendra plus tard : Il faut créer le concept de « capabilité » pour prendre en compte ses difficultés et ses compétences ; accompagner sa prise de parole pour la revendication de ses Droits. C’est une revendication de reconnaissance dans et par l’interpellation sociale.

La question de l’autonomie du Sujet est posée particulièrement par les adolescents ; et avec une grande acuité par les adolescents de l’ ITEP – PRO. Stéphanie Chapeau, Valérie Discour et Farid Mrini partagent avec nous ces moments imprévisibles et précieux où peut se nouer un apprivoisement, terreau indispensable pour qu’une autonomie naissante vienne s’enraciner.

Le besoin d’accéder à l’autonomie, si l’accès à la parole n’est pas acquis, se traduit en actes. La fugue est caractéristique. Plus l’identité est fragile, plus nous sommes dans le spatial, dans le mouvement. Comment passer du spatial à la temporalité, et à l’intériorité ? « occupe-toi de moi mais laisse moi tranquille » « moi tout seul sans jamais l’autre ». Cela crée une situation difficile. Un espace paradoxal est à construire. « Il y a une position éthique à avoir avec ces enfants : toujours les voir comme vivants réels reconnus et compris. Avant de pouvoir parler avec eux, il s’agit de soigner l’être. Tenter de les aider à reconnaître l’autre sans que ça remette en question leur propre identité ».

Favoriser la rencontre, accepter l’errance : Flexibilité, présence contenante, étayage, pare-excitation. Ne pas supposer l’incapacité. Investir les interstices entre les activités, cultiver la relation dans les petites choses du quotidien. Essayer aussi d’inclure la famille, de l’étayer.

L’accent est mis sur le mouvement, l’accompagnement, l’espace, la capacité de prendre des risques en Institution. Ne pas interpréter. Ces jeunes ont besoin, au moins, qu’on les rende utiles : ils sont non-aboutis, pas assez investis. Beaucoup de rapports avec le monde extérieur sont à construire .
Le projet individualisé propose de se réapproprier sa capacité d’oser, « apprendre à prendre du plaisir ». Tout est dans la construction de la confiance. Avant toute recherche d’identification, de transfert, l’affiliation est indispensable
Peu à peu le jeune parvient à s’appuyer sur « le groupe dans sa tête », à prendre de la distance en mettant des mots sur ce qu’il ressent : la fugue n’est plus nécessaire.
Pour que cette approche, cet apprivoisement soit possible, il faut souligner l’importance d’une l’équipe en bonne santé et de professionnels reconnus autonomes : c’est la fonction thérapeutique de l’Institution - Sans autonomie il n’y a pas d’équipe possible.

Les idéaux, concernant l’autonomie, sont stimulants mais se heurtent aux réalités sur le terrain :
Idéaux démocratiques, déclarations de Droits, recherche du consentement des personnes…
 mais les sociétés, tout en se voulant démocratiques, ont une fâcheuse tendance à dériver vers un autoritarisme inquiétant.
 mais les Établissements de soin que sont les hôpitaux sont sommés de devenir rentables, mais les appels d’offres mettent en place plus de concurrence que de coopérations.
 mais le temps dont disposent soignants ou accompagnants tend à s’éloigner du temps vécu de ceux qui sont en souffrance, celui, seul, où on peut les rencontrer.

Or, la réalité de l’accompagnement vers l’autonomie se vit dans les « petites choses », dans les intervalles, dans le temps vécu où se crée patiemment la relation. Sans ambitions démesurées, dans le respect du rythme de chacun, en gardant en vue la nécessaire reconnaissance du Sujet et de sa parole par la société : l’accompagnement inclut également cette dimension, éminemment « politique » au sens citoyen du terme. La fonction de l’Institution, soutien de l’autonomie des professionnels, est primordiale. Elle est également primordiale dans sa capacité de questionner la société qui la mandate, et d’y maintenir, même à contre-courant, la possibilité de vie démocratique et citoyenne.

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A propos : accompagnement vers l’autonomie