Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
A bord de l’« Ocean Viking », ces femmes et ces hommes au secours des migrants
Article mis en ligne le 18 janvier 2021
dernière modification le 17 janvier 2021

Le navire humanitaire de l’association SOS Méditerranée a repris la mer le 11 janvier 2021 pour mener ses opérations de sauvetage en Méditerranée centrale. Entre trajectoires personnelles, envie d’agir et « destinée », les membres de l’équipage ont chacun une bonne raison d’être à bord. Portraits.

Crâne à moitié rasé, dreadlocks et tatouages sur l’avant-bras suffisent à l’identifier. Sous ses airs mi-rasta mi-punk, Tanguy, alias « Tang », est l’une des figures de l’Ocean Viking. À près de 40 ans, il occupe un poste déterminant : depuis trois ans, il est à la tête des équipes de recherche et de sauvetage et compte douze personnes sous ses ordres.

« Je travaille pour SOS Méditerranée depuis août 2016. Un ami et moi avions envoyé nos CV en précisant que c’était nous deux ou rien. Ça a marché », relate-t-il un sourire en coin.

Mardi 12 janvier, soit un jour après que le navire norvégien a levé l’ancre, Tanguy lance une série d’entraînements aux opérations de sauvetage au nord de la Corse. (...)

Vêtu de sa tenue imperméable marquée d’un insigne breton, son gilet de sauvetage, son casque et son oreillette, Tanguy improvise des positions sur le bateau, grille une cigarette, fait la grimace… Une légèreté spontanée qu’il ne se permet que lors des entraînements, pour ne jamais perdre de vue son objectif principal : « Mener les opérations avec succès. »

« Hassan, où est la civière ? », lance-t-il du haut de la plateforme. Au cours du premier entraînement, certains hésitent ou ne savent pas, déstabilisés par ce qui ressemble à une interro surprise. Il faut une bonne heure à Tanguy et Rocco, le conducteur, pour se coordonner et parvenir à une communication parfaite. (...)

« L’intérêt de ces exercices, c’est que tout le monde parle le même langage. Ça facilite beaucoup les interventions, c’est plus efficace et il y a moins d’erreurs », précise-t-il en remuant les sourcils qui surplombent ses yeux bleus. (...)

Depuis la dernière rotation de l’Ocean Viking, en juin 2020, Tanguy passe le « flambeau opérationnel » à Jérémie, l’un des sauveteurs de son équipe, afin qu’il devienne lui aussi responsable d’équipe. « On est déjà deux à ce poste et on tourne pour les rotations. En étant trois, on pourra être à deux sur une même mission et nous améliorer, tandis que le troisième est en repos. » (...)

Le matin au réveil, Tanguy apporte une tasse de café à Jérémie dans la cabine qu’ils partagent. Le premier a été pompier dès l’âge de 16 ans, puis sauveteur et militaire, le second a fait de la recherche en mathématiques ou du cinéma avant de suivre une formation de matelot. Tous deux ont décidé d’envoyer un jour leur CV à SOS Méditerranée pour se rendre utiles, gravissant ensuite les échelons.

« Pour être responsable des équipes de recherche et de sauvetage, il faut avoir une capacité opérationnelle et savoir entraîner les équipes en toute bienveillance. On a une énorme responsabilité, les vies des sauveteurs et des rescapés dépendent de nous », souligne le duo. Tanguy reconnaît le « stress monstrueux » lié à son poste : « à chaque opération de sauvetage, j’ai la sensation de perdre un mois de vie. Mais on le fait parce qu’on a le sens du devoir ». (...)

Les pires scénarios qu’ils aient pu rencontrer se sont déroulés de nuit et par mauvais temps, avec plusieurs embarcations à secourir. À mesure que Tanguy livre son récit de cette nuit de janvier 2018, dont il a encore des flashs aujourd’hui, son binôme assis près de lui ferme les yeux, comme pour absorber l’horreur qui s’apprête à être dévoilée.

« C’était un carnage, souffle Tanguy, laissant sa voix s’emballer. Il y avait entre 1,5 et 2 mètres de houle. Les deux premiers bateaux de secours sont allés vers le canot pneumatique en détresse. L’EZ3, qui était trop plein, a pris l’eau et on a dû aller l’aider. » Avant que l’Aquarius n’intervienne [le premier navire de SOS Méditerranée - ndlr], Tanguy voit un bateau des douanes italiennes passer devant l’embarcation en détresse sans lui porter assistance.

L’un des rafts transportant des survivants se retourne. Des corps flottent dans l’eau. Des bébés sont inconscients. « Je ne sais pas combien de personnes sont mortes ce soir-là. Sur les neuf personnes ayant reçu une réanimation cardio-pulmonaire, six ont survécu. On a ramené 99 personnes à bord avec les moyens qu’on avait », se remémore-t-il. Tous les enfants ont la vie sauve. (...)

Au sommet de l’Ocean Viking, en passerelle, Luisa et Matthieu sont entourés de commandes et d’ordinateurs leur permettant de garder le contact avec les autorités maritimes et les avions de reconnaissance d’ONG effectuant des patrouilles en Méditerranée centrale pour repérer des embarcations en détresse. Elle est coordinatrice des opérations de recherche et de sauvetage, lui est son adjoint.

Ensemble, ils gardent un œil sur leur itinéraire et les conditions météorologiques. Réunissent les équipes de SOS Méditerranée chaque jour pour faire le point (...)

Durant chaque opération, Luisa et Matthieu restent en communication constante avec les autorités compétentes, selon la zone de recherche et de secours (SAR). L’un d’entre eux doit aussi assurer la liaison avec les équipes de recherche et de sauvetage durant l’opération.

« Nous devons prendre en considération le vent et la trajectoire de l’embarcation en détresse avant d’envoyer les sauveteurs », explique Luisa dans un anglais à l’accent italien. Auparavant consultante en informatique, la quinquagénaire a décidé de changer de vie et s’est découvert une passion pour la mer.

« J’ai été navigatrice et j’ai travaillé dans une réserve marine, avant de rejoindre l’ONG Sea Shepherd qui lutte pour la protection de la mer et contre la surpêche », poursuit-elle en passant la main dans sa chevelure dorée. (...)

Durant chaque opération, Luisa et Matthieu restent en communication constante avec les autorités compétentes, selon la zone de recherche et de secours (SAR). L’un d’entre eux doit aussi assurer la liaison avec les équipes de recherche et de sauvetage durant l’opération.

« Nous devons prendre en considération le vent et la trajectoire de l’embarcation en détresse avant d’envoyer les sauveteurs », explique Luisa dans un anglais à l’accent italien. Auparavant consultante en informatique, la quinquagénaire a décidé de changer de vie et s’est découvert une passion pour la mer.

« J’ai été navigatrice et j’ai travaillé dans une réserve marine, avant de rejoindre l’ONG Sea Shepherd qui lutte pour la protection de la mer et contre la surpêche », poursuit-elle en passant la main dans sa chevelure dorée. (...)

« Je devais agir. Une fois, j’ai eu le cas d’une mère qui avait accouché cinq jours avant la traversée. Si elle est partie avec un nouveau-né, on peut imaginer qu’elle n’avait pas le choix. »

Décrivant des personnes ayant vécu l’enfer, la responsable des opérations assure que ses équipes font leur maximum pour les protéger et leur rendre « le plus de dignité possible ». « Une fois l’opération de sauvetage terminée, toutes les équipes sont au service des rescapés pour prendre soin d’eux. »

Assis dans la salle à manger du navire, une aura mystérieuse émane de Hassan, l’un des marins-sauveteurs de l’équipe EZ1. Teint hâlé, cheveux ébène et barbe éparse, le trentenaire est originaire de la région d’Al-Fayum en Égypte. Il travaille depuis trois ans et demi pour SOS Méditerranée.

« J’ai moi-même traversé la Méditerranée, comme les gens que l’on sauve. J’ai vu certains de ceux qui m’accompagnaient mourir », confie-t-il un soir, sans détour, à la cheffe de l’équipe médicale dans la salle à manger du navire. Évoquant une « responsabilité collective », Hassan affirme vouloir davantage d’actions concrètes et moins de discours, notamment politiques, à propos des migrations. (...)

« Le plus difficile à mes yeux, c’est quand des personnes meurent devant moi. J’ai l’impression d’avoir les mains sales. » À chaque opération de sauvetage, il revit sa propre histoire et en tire « l’énergie » nécessaire pour sauver la vie de « personnes qui n’ont pas fui leur pays par choix mais par désespoir ».