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Mediapart
À Mayotte, le blocage des centres de soins se poursuit et met en péril la santé des habitants
#Mayotte #droits #uwambushu #sante
Article mis en ligne le 4 juin 2023

Un malade de la tuberculose en rupture de traitement, un autre, séropositif, placé en rétention en vue de son expulsion, des membres du corps médical contraints de faire de la « résistance » pour soigner des patients… La situation sanitaire ne cesse d’empirer sur l’île.

Plusieurs lanceurs d’alerte pointent d’ores et déjà une « crise sanitaire » majeure. Depuis près d’un mois, des collectifs pro-Wuambushu bloquent l’accès aux centres de soins dans différentes villes et quartiers de Mayotte, estimant que si les expulsions de ressortissants comoriens ne sont pas effectives, ces derniers ne méritent pas d’être soignés.

Ce que redoutaient plusieurs membres du personnel soignant commence à pointer le bout de son nez : faute de traitements, certain·es patient·es voient leur état de santé s’aggraver. « Les patients ne peuvent pas récupérer leur traitement », s’alarme un médecin présent sur l’île.

Alors que les dispensaires étaient censés rouvrir le 25 mai, comme en atteste une note interne au centre hospitalier de Mayotte (CHM) que Mediapart a pu consulter, les collectifs en faveur de l’opération Wuambushu, lancée par le ministère de l’intérieur le 24 avril et visant à expulser les étrangers en situation irrégulière, ont de nouveau bloqué l’entrée de certains d’entre eux, comme celui de Jacaranda, un centre de soins ouvert à toutes et tous sans distinction de nationalité ou de régularité sur le sol français. « La police était au bout de la rue et n’a rien fait. Plusieurs médecins ont alerté l’administration, mais il n’y a pas eu de réaction. » (...)

Pourtant, selon plusieurs sources appartenant au corps médical, les blocages répétés commencent à montrer leurs effets sur la santé des patient·es : les malades chroniques n’ont plus la possibilité de renouveler leur traitement et finissent parfois dans un état « grave ».

« On a déjà vu des patients diabétiques arriver à l’hôpital dans le coma ou vu des décompensations cardiaques à cause de cette rupture de traitement, poursuit le médecin déjà cité. On commence aussi à voir affluer des patients qui n’ont pas eu leur chimiothérapie ou leur biothérapie durant les semaines de blocage, qui reviennent avec une maladie en poussée ou un pronostic modifié. »

Consultations empêchées et ruptures de traitement (...)

Une femme mineure s’est rendue trois jours de suite à l’hôpital pour une IVG et a été renvoyée chez elle à chaque fois. (...)

Selon nos informations, les patientes et patients en hospitalisation à domicile ou en fin de vie – un système permettant de répondre au sous-dimensionnement de l’hôpital de Mamoudzou – n’ont pas eu de traitement pharmaceutique durant une semaine, parce que le CHM refusait de régler les factures impayées (et ce depuis plus de six mois pour certaines) des pharmacies de ville chargées de les leur fournir, alors qu’il s’agit pourtant de la convention passée entre le CHM et les officines. Les médecins se disent contraints de « magouiller » et ont le sentiment de « faire de la résistance » simplement pour exercer leur métier.

Un autre patient, originaire du Rwanda et atteint du VIH, s’est retrouvé sans accès aux soins et a été placé durant 72 heures en centre de rétention administrative (CRA) en vue de son expulsion – sa demande d’asile a été rejetée mais il a formulé une demande de titre de séjour étranger malade, toujours en cours d’examen. Il aurait réussi à consulter en urgence à la sortie du CRA pour faire un bilan. (...)

Les autorités ne dénoncent pas les blocages

À Mediapart, le directeur de l’agence régionale de santé (ARS) de Mayotte confirme avoir reçu un signalement et soutient avoir pris l’attache avec la direction du CHM dès la réception de celui-ci : « J’ai contacté le CHM un jeudi, et dès le lendemain il m’informait que le service d’orthogénie avait rouvert », assure Olivier Brahic, qui précise que l’ARS a été mobilisée dès le début des blocages, notamment grâce à des réunions quotidiennes organisées entre l’agence, la préfecture et la direction du CHM pour « maintenir l’accès aux soins ».

Mais, selon un membre du personnel impliqué par le dossier, le CHM pourrait avoir « cherché à cacher » l’ampleur de la situation à l’ARS, ou en tout cas « ne pas l’en informer systématiquement ». (...)

Les autorités ne dénoncent pas les blocages

À Mediapart, le directeur de l’agence régionale de santé (ARS) de Mayotte confirme avoir reçu un signalement et soutient avoir pris l’attache avec la direction du CHM dès la réception de celui-ci : « J’ai contacté le CHM un jeudi, et dès le lendemain il m’informait que le service d’orthogénie avait rouvert », assure Olivier Brahic, qui précise que l’ARS a été mobilisée dès le début des blocages, notamment grâce à des réunions quotidiennes organisées entre l’agence, la préfecture et la direction du CHM pour « maintenir l’accès aux soins ».

Mais, selon un membre du personnel impliqué par le dossier, le CHM pourrait avoir « cherché à cacher » l’ampleur de la situation à l’ARS, ou en tout cas « ne pas l’en informer systématiquement ». (...)

Interrogé sur les effets des blocages, le patron de l’ARS reconnaît avoir eu des remontées concernant des patient·es ayant rencontré des difficultés pour se faire soigner, notamment pour les consultations, sans donner d’exemple précis. Mais, poursuit-il, « il n’y a pas eu de difficulté d’accès aux soins urgents ».

Refusant de prendre position contre les blocages, Olivier Brahic rappelle que la ligne de l’ARS reste celle de « l’accès aux soins universels ». « Mon rôle n’est pas de dénoncer les blocages mais d’assurer un lien avec le CHM, ce que nous avons fait. » Ni l’ARS ni la préfecture de Mayotte n’ont officiellement réagi aux blocages des centres de soins sur l’île.

Contactée, la préfecture n’a pas répondu à nos questions (...)

Dans un récent communiqué publié conjointement avec l’ARS, la préfecture de Mayotte a dénoncé les violences commises à l’égard des soignant·es, d’abord au dispensaire de Dzoumogné, au nord de l’île, puis à Koungou, où un bus transportant des soignant·es du CHM a été caillassé, pointant une « atteinte grave à l’engagement de ces professionnels pour la santé à Mayotte ».

Selon Olivier Brahic, un plan d’action a été mis en place en vue de renforcer la sécurité devant les CMR, avec un contact quotidien entre les responsables des établissements et le chef de brigade local.
Une potentielle crise des effectifs de soignants à venir

« On voit la présence de la police et de la gendarmerie devant les dispensaires, de 7 heures à 15 heures », confirme le médecin cité plus haut. Pour lui, l’épisode de Dzoumogné a été une « catastrophe », car il est venu légitimer le blocage des centres de soins organisé par les collectifs. Le « plan blanc » a en effet été déclenché dans la foulée, « officialisant » la fermeture du dispensaire attaqué, où des pro-Wuambushu avaient bloqué l’entrée plusieurs jours durant avant ces violences.

Et le médecin de tenter de comprendre l’action de ces jeunes, sans pour autant les excuser : « Si j’avais eu des proches empêchés de consulter par ces collectifs, j’aurais pété un câble. Comment une telle violence, celle d’empêcher des malades de se soigner, pourrait-elle générer autre chose que de la violence en retour ? »

L’autre revers de ces blocages, et des tensions qui y sont liées, est le risque de pénurie de soignant·es (...)

« Le battage médiatique de Gérald Darmanin est délétère pour la venue de soignants dans le département. » Un professionnel de santé à Mayotte (...)