
Prévue pour désengorger le centre-ville, la nouvelle rocade marseillaise (la L2) est terminée depuis octobre, après quatre ans de travaux. Dans les quartiers nord et est qui ont vu surgir cette autoroute urbaine, les habitants se sentent plus enclavés encore, toussant dans un nuage de pollution et dans le bruit.
« Ici on a notre mur de Berlin et notre montagne. » Céline Burgos a le sens de la formule. Cette mère de famille de 50 ans habite le quartier de Saint-Barthélemy, dans le nord de Marseille, depuis 20 ans. Un quartier qu’elle a vu se dégrader au fil des années. Une tasse de café chaud dans les mains, emmitouflée dans un gros pull en laine bleu, la trésorière du centre social de la Busserine, alias « l’Agora », raconte son ras-le-bol. « C’est encore pire depuis les travaux de la L2 [la nouvelle rocade marseillaise]. » Elle montre du doigt le vaste terrain vague qui sert de rue à l’Agora. « Il suffit de regarder, il y a des trous partout, de la boue, des gravats, des déchets, des restes de travaux, et une montagne. »
Le cadre est en effet frappant. Derrière les tours de cette cité connue à Marseille pour ses règlements de compte et son trafic de stupéfiants se trouve une zone déserte. « La montagne », comme les habitants l’appellent, est un énorme talus d’une dizaine de mètres de hauteur. Il est constitué des restes de l’ancienne école de la Busserine, première victime de la L2. Ici, sur une zone d’environ 30.000 m2 la ville semble avoir abandonné ses droits à la L2. Car si les pieds sont dans la boue, la tête elle, est dans le béton. À droite, des tours HLM, sur une dizaine d’étages. À gauche, le mur de la nouvelle rocade. Il est flambant neuf et haut d’une quinzaine de mètres. Et tout au fond de cette « allée », on trouve le centre social du quartier installé ici depuis 2007.
« Cela fait des années qu’on est du mauvais côté du mur » (...)
Sur le site du groupement d’intérêt publique Marseille Rénovation urbaine, chargé « de la bonne coordination entre tous les acteurs de la L2 », il est écrit noir sur blanc que la L2 a pour but de « contribuer à l’amélioration de la qualité de vie des habitants des quartiers traversés » par la rocade. Mais ici, personne ne parle de qualité de vie. « Cela fait des années qu’on est du mauvais côté du mur, on est mis à part, et voilà que, en plus, ils nous ajoutent ces travaux, cette L2, ce mur… Ce projet a été pensé pour les autres habitants, ceux qui traversent la ville, pas pour nous. » (...)
La zone de l’Agora, transformée en terrain vague à la suite des travaux qui ont débuté en 2014, est notamment devenue l’an dernier le repère de toxicomanes. Des dizaines de seringues sont oubliées sur place. Là même où des enfants passent tous les jours pour rejoindre le centre social après l’école. Guillaume Seze, le directeur de l’Agora, a appelé les services de la ville. « Ils ont refusé de venir, lâche-t-il dans un sourire ironique. Avec les travaux de la L2 est né un problème de domanialité : on est ici dans un no man’s land. On ne sait pas qui est responsable du lieu. Ce n’est plus la ville, ce n’est pas non plus la SRL2 [la société de réalisation de la L2], c’est chez personne. » D’ailleurs, le courrier n’arrive pas ici et l’adresse n’est même plus répertoriée. (...)
Quant aux voies d’accès au centre, mieux vaut être bien chaussé si l’on ne veut pas s’embourber. Les jours de pluie, la route est par endroits totalement submergée, impraticable à pied. Un bénévole du centre se charge alors d’aller récupérer les enfants de l’école, située à 300 mètres à vol d’oiseau, et de les emmener au centre social, en minibus. « Je ne comprends pas comment on peut maltraiter autant des milliers de gens », conclut tristement Guillaume Seze. (...)
En attendant la fin des travaux qui s’éternisent, Rachida Laidi vit depuis deux ans avec des problèmes respiratoires. La quinquagénaire sans emploi habite l’immeuble voisin de l’Agora avec son mari et sa fille de 15 ans depuis près de 20 ans. En face de sa chambre, à quelques mètres, la L2. La rocade est, à cet endroit, couverte. Mais les travaux ont laissé des traces indélébiles. Fenêtres noires de poussière, et rendez-vous réguliers chez le pneumologue. L’inhalateur de Rachida ne la quitte plus.
Les témoignages similaires se multiplient dans le quartier. Enfants, parents, personnes âgées… ici, les maladies respiratoires semblent se développer à grande vitesse. (...)
Une qualité de l’air viciée, comme l’a prouvé le Collectif anti-nuisances de la L2, ou CANL2. Cette association née en 2010 rassemble aujourd’hui plus de 1.000 personnes : comités de quartier, associations et particuliers. « Nous ne sommes pas forcément contre la L2, résume son secrétaire, Bernard Doniadio, mais contre la façon dont elle a été faite. » Une étude comparée entre les situations de 2011 (faite par Air Paca, devenue depuis AtmoSud) et celle de 2014 (par la SRL2, la société chargée de réaliser la L2) a donc permis d’identifier une pollution importante sur quatorze sites du futur tracé de la L2. Avec des taux de dioxyde d’azote approchant voire atteignant le seuil réglementaire des 40 microgrammes/m3 annuels. Les rues de la Busserine (la rue de l’Agora), et le boulevard de la Station en font partie (...)
Conclusion du Comité anti-nuisances : avec l’ouverture de la L2, et un passage estimé de 100.000 véhicules par jour, il est évident que les 40 microgrammes sont dépassés aujourd’hui. Du côté du constructeur, Pascal Beria, directeur général adjoint de la SRL2, explique : « La L2 a pour but principal de réduire la circulation dans le centre-ville de Marseille, globalement, elle est donc positive pour la qualité de l’air ! Mais évidemment, en proximité du site, aux sorties des tunnels, et au niveau des tranchées non couvertes, il y a davantage de pollution, on ne peut pas le nier. » Et Pascal Beria ajoute : « Mais, ce n’est pas la L2 qui pollue, ce sont les voitures ! » (...)