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À Charm el-Cheikh, la répression fait rage autour de la COP27
#Egypte #droitsHumains #cop27
Article mis en ligne le 12 novembre 2022

(...) L’Égypte prépare depuis des mois un sommet sous haute surveillance : des centaines de caméras ont été installées dans les taxis, un cordon sécuritaire a été mis en place pour filtrer les entrées dans la ville, le profil des employé·es de l’industrie touristique a été minutieusement contrôlé… Reconnaissables au badge épinglé au revers de leur veste, des centaines d’agents des services de la sécurité intérieure bourdonnent à travers la ville, dans les grands hôtels, les transports publics et sur le toit de certains bâtiments. Certains s’invitent même dans les bus loués par les groupes de militant·es et de journalistes – dont l’autrice de ces lignes – pour les escorter.

« Cette COP risque d’être la plus surveillée et la plus contrôlée de l’histoire », affirme Hussein Baoumi, chercheur spécialiste de l’Égypte et la Libye pour l’ONG Amnesty International. Comme lui, les associations de défense de droits de l’homme et les activistes alertent depuis des mois au sujet de la répression des autorités égyptiennes, qui comptent bien éviter tout dérapage dans un pays où les manifestations sont depuis longtemps interdites et la société civile muselée.

Une ville sous haute surveillance

La province du sud-Sinaï où se situe Charm el-Cheikh vit désormais sous contrôle sécuritaire renforcé. Les autorités égyptiennes ont fermé des dizaines de boutiques et multiplié les contrôles sur les nombreux employés de l’industrie touristique – il faut désormais un permis spécial pour travailler dans cette zone. Bon nombre de travailleurs locaux ont été expulsés, remplacés par des journaliers venus des quatre coins de l’Égypte. Quelques jours avant le sommet, les employés ont reçu pour instruction de ne pas quitter leurs résidences après leurs horaires de travail, et ce, pendant toute la durée de l’évènement.

« Les autorités justifient toutes ces mesures par l’impératif de la sécurité », explique à Vert Hussein Baoumi. Mais pour beaucoup de défenseur·ses des droits humains, l’argument sécuritaire est fallacieux. (...)

Le choix de Charm el-Cheikh pour héberger le sommet n’est pas non plus anodin. « Les autorités aiment héberger les conférences internationales ici parce que c’est une zone éloignée de là où la plupart des Égyptiens résident, raconte Mai El-Sadany, qui dirige l’Institut Tahrir des politiques au Moyen-Orient (TIMEP). Il est plus facile d’y imposer des règles de sécurités contraignantes ». Située sur la pointe sud de la désertique péninsule du Sinaï, à des centaines de kilomètres du Caire, la ville est surtout constituée d’hôtels de luxe et de résidences pour les employés du secteur touristique.

Un parfum de dictature

« Depuis 2013, les autorités égyptiennes ont fortement réduit la liberté d’expression et de rassemblement. Elles ont arrêté des milliers de personnes – pas seulement des activistes politiques, mais aussi des chercheurs, des artistes, des écrivains », ajoute Mai El-Sadany. La plupart des ONG de défense des droits de l’homme considèrent l’Egypte comme l’une des pires dictatures au monde. Après le « printemps arabe » qui a abouti à la destitution de Moubarak en 2010, le pays est retombé, en 2013, sous le contrôle de l’armée après le coup d’État qui a porté au pouvoir l’actuel président, le général Abdel Fattah al-Sissi.

Depuis, plus de 60 000 prisonniers politiques croupissent dans les prisons égyptiennes. La liberté de la presse, déjà réduite avant 2011, est désormais inexistante : des centaines de médias et sites internet y sont interdits ou bloqués, dont celui de Reporters sans frontières – qui décrit l’Égypte comme « l’une des plus grandes prisons pour journalistes au monde ».

Et les activistes environnementaux ne sont pas épargnés. (...)

À la COP, s’entretenir avec les militant·es égyptien·nes pour le climat peut s’avérer compliqué. Beaucoup refusent de s’exprimer sur la situation des droits humains dans le pays, de peur d’être perçus comme critiques du gouvernement : « Je ne peux pas vous parler. Vous connaissez la situation ici », s’excuse une activiste. Une autre se désole : « Depuis 2013, c’est de pire en pire chaque année ».

Des abus qui éclipsent le climat

C’est dans ce climat délétère, dominé par la suspicion envers les acteurs non-gouvernementaux, que la conférence a été organisée. « Le gouvernement n’a pas accrédité une seule organisation indépendante de défense des droits pour la COP », rappelle Hussein Baoumi. Selon lui, les quelques organisations locales qui pourront assister à la COP ont été triées sur le volet pour donner l’illusion que la société civile égyptienne serait représentée.

Dans les semaines précédant le lancement du sommet, les appels à manifester le 11 novembre se sont multipliés sur les réseaux sociaux, plongeant l’appareil sécuritaire égyptien dans un état d’effervescence. Dans les grandes villes du pays, des centaines de personnes ont été arrêtées « préventivement » par des policiers en civil déployés dans les rues pour contrôler les portables et réseaux sociaux des passant·es. (...)

Les manifestations non autorisées seront systématiquement et brutalement réprimées. Hussein Baoumi de rappeler les risques encourus par les participant·es égyptien·nes : « La principale crainte pour les Égyptiens sur place aujourd’hui, c’est : “qu’arrivera-t-il à ceux qui ont critiqué les autorités, une fois que les caméras seront reparties ?” ».

Lire aussi :

Le charme trompeur de Charm el-Cheikh

Le régime égyptien a beau tenter de montrer au monde entier à quel point il est beau, vert et gentil en pleine conférence de l’ONU sur le climat, l’opération charme de la COP27 sous les palmiers de Charm el-Cheikh ne berne personne. (...)

C’est charmant, Charm el-Cheikh, je ne dis pas le contraire. J’ai eu la chance d’y passer du temps dans ma jeunesse. J’en garde de magnifiques souvenirs. Mais l’image qui me vient à l’esprit quand je vois le sort que l’État égyptien réserve à ses dissidents en pleine COP27 n’a hélas rien de charmant. Ce n’est pas une jolie carte postale de la mer Rouge scintillante, mais plutôt des scènes de répression dont j’ai été témoin des années plus tard, en reportage en Égypte au lendemain d’un Printemps arabe qui déchantait. Place Tahrir, j’avais été à la fois horrifiée par la cruauté des policiers antiémeute qui tiraient sur les manifestants et soufflée par l’incroyable courage des journalistes et des militants prodémocratie égyptiens rêvant d’un monde meilleur.

Plus de 10 ans plus tard, on compte quelque 60 000 prisonniers politiques en Égypte, attendant encore la démocratie.

Le plus célèbre est l’écrivain égypto-britannique Alaa Abdel Fattah, icône de la révolution de 2011. Jeudi, jour international de solidarité avec les prisonniers politiques d’Égypte, des centaines de participants à la COP27 se sont habillés de blanc comme les prisonniers égyptiens pour réclamer la libération de tous les détenus politiques, dont celle d’Alaa Abdel Fattah, en danger de mort après sept mois de grève de la faim. Depuis dimanche, alors que les yeux du monde sont rivés sur le pays hôte du sommet, le blogueur prodémocratie a accentué ses moyens de pression en refusant même de boire de l’eau.

La famille du détenu, qui est sans nouvelles de lui depuis plusieurs jours, craint qu’il ne soit soumis à la torture, nourri de force par les autorités égyptiennes soucieuses de ne pas avoir un mort embarrassant dans l’une de leurs prisons alors que la « grande visite » de la COP27 est encore là. (...)

Une conférence de presse en soutien à Alaa Abdel Fattah organisée en marge du sommet sur le climat n’a évidemment pas plu au gouvernement, qui tente d’écoblanchir son image. Le service de sécurité de l’ONU a dû expulser un député égyptien progouvernement qui s’en était pris à la sœur du blogueur, niant qu’Alaa Abdel Fattah soit un prisonnier politique.

Alors que les Nations unies, tout comme plusieurs dirigeants, ont réclamé sa libération immédiate, l’Égypte a vu dans cet appel une « insulte inacceptable » et a appelé ironiquement l’ONU à plus de neutralité.

Comme le disait Desmond Tutu, rester neutre face à l’injustice n’a absolument rien de neutre… C’est prendre le parti de l’oppresseur.

Dans le cas qui nous concerne, ce serait choisir le camp d’un État qui a un bilan catastrophique en matière de droits de la personne. L’Égypte est 135e sur 140 pays au classement mondial de l’État de droit du World Justice Project. Au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, le pays est 168e sur 180 pays.