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À Bordeaux, une consultation pour protéger couples et bébés de la pollution
Article mis en ligne le 24 juin 2022

« Quels types de logements rénovez-vous ? Le risque majeur est l’exposition au plomb, avec des effets avérés sur la reproduction mais pas seulement. Attention quand vous êtes appelé à travailler sur un logement ou une échoppe construit avant 1949 », conseille la Dr Fleur Delva, médecin en santé publique au centre Artemis du CHU (centre hospitalier universitaire) de Bordeaux. De l’autre côté du bureau, Thomas, artisan-peintre de 35 ans, et Marion, comptable de 32 ans, l’écoutent avec attention. « Oui, je pourrais être exposé à des poussières en décapant, confirme le jeune homme. Heureusement, je n’ai travaillé qu’une ou deux fois sur ce type de bâtiment. » « Parfait, vous échappez à la plombémie, cette prise de sang destinée à vérifier que vous n’êtes pas intoxiqué », sourit la soignante.

Connaissance des pictogrammes et en particulier celui signalant des produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), utilisation de white spirit « dont les effets néfastes sur la spermatogenèse [processus de fabrication des spermatozoïdes par les testicules] sont avérés », équipements de protection professionnels mais aussi aération, produits ménagers, alimentaires et cosmétiques utilisés à la maison… Pendant près d’une heure, la Dr Fleur Delva interroge les conjoints sur leurs expositions à divers polluants et leur délivre des conseils personnalisés.

Le jeune couple installé au Bouscat (Gironde) essaie de concevoir un enfant depuis quatre ans. Le gynécologue qui le suit dans le cadre de son parcours de procréation médicalement assistée (PMA) l’a adressé au centre Artemis. Mis en place en 2016 en partenariat avec l’Agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine, l’Anses et Santé publique France, ce dernier propose une consultation d’évaluation des expositions environnementales aux couples infertiles, ainsi qu’aux femmes enceintes souffrant de maladies de la grossesse ou dont le fœtus présente des malformations ou des problèmes de croissance.

Pour l’équipe pluridisciplinaire de onze personnes — gynécologue-obstétricien, ingénieures en santé environnement, épidémiologiste, infirmières… —, « l’idée n’est pas d’expliquer la cause des troubles mais de faire de la prévention pour les grossesses à venir », insiste le Dr Delva. (...)

À l’origine du projet Artemis, ce triste constat : la reproduction humaine est de plus en plus perturbée par les facteurs environnementaux (exposition à la chaleur, travail de nuit, postures inadaptées) et notamment la pollution chimique. En France, 3,3 millions de personnes — un couple sur quatre — sont directement concernées par un problème d’infertilité nécessitant une aide médicale, selon un rapport du ministère de la Santé de février 2022.

Certaines causes évoquées — baisse de la concentration des spermatozoïdes dans le sperme, maladies gynécologiques telles que le syndrome des ovaires polykystiques et l’endométriose (voir notre enquête) — pourraient être liées à des expositions à certaines substances chimiques et perturbateurs endocriniens. Et les dégâts ne s’arrêtent pas à la conception : ces polluants peuvent favoriser certaines maladies de la grossesse voire des troubles du développement psychomoteur et des cancers chez les enfants. (...)

si certains couples sont adressés par des médecins libéraux et des structures partenaires, comme des maisons de santé, un important travail de repérage est réalisé au sein même du CHU. C’est une des missions de Carine Audouin, infirmière au centre Artemis. Tous les après-midis, elle parcourt les bâtiments pour distribuer des questionnaires vierges et récupérer les exemplaires complétés. (...)

Pour autant, le dispositif n’est pas parfait. « Les patients se concentrent surtout sur les expositions domestiques, alors que les expositions les plus fortes et les plus dangereuses sont professionnelles », regrette l’experte en santé publique. En outre, seul un nombre limité de personnes en âge de procréer sont atteintes, qui ne sont pas toujours dans les meilleures dispositions pour profiter de la démarche. « Les parcours de PMA sont déjà compliqués, on se demande parfois si c’est le meilleur moment pour parler de tout ça », s’interroge la Dr Delva. (...)

Des questions à aborder dès le collège (...)

Pour élargir l’audience de ses travaux, le centre Artemis cherche donc à former un maximum de professionnels de santé —gynécologues, sages-femmes, infirmières — qui pourront aborder la question dans le cadre de suivis plus routiniers. Il a ainsi créé avec le CHU de Poitiers un diplôme interuniversitaire d’un an en santé environnementale et un Mooc [1] de 12 heures. Et œuvre aussi à faire avancer la recherche : Raphaëlle Teysseire se consacre ainsi à une thèse sur les déterminants de l’exposition aux pesticides dans les zones viticoles.