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"70% de la lutte contre le changement climatique se joue au niveau local" : l’eurodéputé Damien Carême imagine la ville écologique de demain
Article mis en ligne le 30 août 2020

Qu’il s’agisse de questions sociales ou environnementales, pour Damien Carême, "le changement doit se faire par le bas". Deux mois après les élections municipales, cet eurodéputé d’Europe Ecologie-Les Verts, ancien maire de Grande-Synthe, reste persuadé que les municipalités ont un rôle essentiel à jouer dans la protection de l’environnement. De 2001 à 2019, l’élu écologiste a fait de la ville du Nord un laboratoire social et vert dans un contexte difficile – un taux de chômage proche de 25%, près de 65% de logements sociaux, le tout dans un bassin économique en perte de vitesse, à proximité directe d’une quinzaine de sites industriels dangereux classés Seveso. Durant les trois mandats de Damien Carême, Grande-Synthe s’est engagée dans la création d’éco-quartiers, de jardins partagés, d’une cantine 100% bio. La ville a ainsi été nommée "capitale de la biodiversité" en 2010 et a remporté le trophée "fleur d’or" ou encore le prix "zéro phyto, 100% bio"en 2015.

Le parcours de Damien Carême reste toutefois marqué par des confrontations. Avec le Parti socialiste d’abord, qu’il a quitté en 2014. Puis face aux plus hautes administrations, au sujet de l’accueil de migrants sur sa commune notamment, ou lorsqu’il a porté plainte contre l’Etat pour "inaction climatique" en 2018. Quel regard porte-t-il sur les récents succès électoraux des écologistes ? Et quel rôle les mairies peuvent-elles jouer dans la transition écologique ? Au cours de cet entretien réalisé le 28 juillet, Damien Carême revient sur son expérience de maire écologiste, mettant en lumière les nombreux domaines où les villes peuvent agir sans devoir attendre des consignes étatiques. (...)

Je pense qu’il y a une prise de conscience, mais je pense que les citoyens sont beaucoup plus en avance que leurs représentants élus en matière de lutte contre le changement climatique, sur le changement de société qu’ils attendent. Il y a une prise de conscience évidente. Il y a une prise de conscience que cette société va mal parce qu’on parle beaucoup de la crise du Covid-19, mais on a quand même une crise climatique. On a une crise de la biodiversité, on a une crise économique, on est en crise financière, en crise démocratique, en crise sociale, en crise énergétique, en crise écologique.

C’est la première fois que dans notre société, dans l’histoire de l’humanité, on rencontre autant de crises simultanées qui sont la résultante du système dans lequel on évolue depuis une soixantaine d’années, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Je suis atterré de voir dans les interventions que je peux faire partout en France, depuis 3 ans maintenant que je sillonne le territoire national, que les gens ont peur de ce qu’ils mangent, de l’air qu’ils respirent, de ce qu’ils boivent. (...)

La crise, à l’origine, n’est pas qu’écologique. C’est bien la crise de notre modèle de développement qui est en cause. Et je pense que les Français, peut-être grâce à cette crise sanitaire, se rendent compte de tout cela. (...)

Je ne suis pas sûr que ce soit sur l’empreinte carbone que les gens s’interrogent, parce que je pense qu’ils ne la mesurent pas. C’est aussi un problème, on ne connaît pas le poids des choses, le poids de nos modes de vie. C’est une question d’ailleurs qui est extrêmement intéressante. Il y a un collectif qui a fait un petit livre qui s’appelle Retour sur terre : 35 propositions, que j’ai là. Je vous le conseille parce qu’il est extraordinaire.

Les gens ont réalisé, durant ce confinement, que c’est quand même extrêmement dur. On l’a tous vécu de manière différente, si on avait des enfants, ou pas, à la maison, un logement suffisamment vaste, si on avait de bonnes conditions, si on avait une connexion internet qui nous permettait de télétravailler, si on avait suffisamment de matériel informatique pour les enfants et la famille quand on travaille en même temps. Et malheureusement, ceux qui ont le plus pâti de cette situation, ce sont encore les gens les plus défavorisés qui vivent dans des petits appartements, qui n’ont pas les moyens d’avoir une connexion haut-débit, qui n’ont pas forcément un ordinateur pour chacun des membres de la famille. (...)

Cette période m’effraie. L’économiste Eloi Laurent a publié un livre fin 2019 qui s’appelle Sortir de la croissance : mode d’emploi, dans lequel il y a tout un chapitre sur le bonheur. Parce que c’est ça qui compte, finalement : c’est d’être heureux, quel que soit l’environnement. Dans les études qui ont été menées, ce qui fait la part la plus importante du bonheur chez l’être humain, c’est le lien social, mais pas le lien social à travers une caméra et un dispositif comme Zoom ou autre chose, mais le vrai lien social, aller à la rencontre des gens. (...)

il y en a beaucoup d’autres quand même, depuis 30 ans, 40 ans, qui écrivent au sujet de cette trajectoire. Et moi, ça me met vraiment en colère de me dire que les gouvernements successifs, depuis ces années-là, n’avaient qu’une lubie, c’était la croissance, le plein-emploi lié à la croissance. Certes, il y a eu des améliorations des conditions de vie d’un certain nombre de personnes, mais on est arrivés au bout de ce système et toutes les crises que je décrivais tout à l’heure sont l’aboutissement de ce système qui nous a poussés dans cela et qui remet en cause l’existence même de l’homme sur Terre, de la vie sur Terre. (...)

Si on laissait du temps à la nature, elle se referait calmement, à son rythme. Et moi, ça me met en colère, ces dirigeants qui étaient obsédés par les lobbys, par l’ultralibéralisme, par le profit immédiat, sans jamais tenir compte des alertes des climatologues, des glaciologues, des météorologues, des naturalistes, des environnementalistes, tous ces spécialistes qui annonçaient les choses. Ils le hurlaient, et malheureusement, il faut peut-être attendre cette crise pour voir des embryons de démarrage de quelque chose qui pourrait changer les choses.

Je suis un peu atterré de la réponse politique de ceux qui ont le pouvoir aujourd’hui face à cette crise. (...)

Il y a donc des choix qui doivent être faits au niveau local comme au niveau national. Et tout est affaire de courage, d’audace, de choix politiques de nos gouvernants. (...)

on a besoin de rassembler des hommes et des femmes qui se reconnaissent dans cette voie-là, c’est-à-dire qu’on ne soit plus des productivistes, que l’on sorte des pièges dans lesquels on est depuis un certain nombre d’années, que l’on sorte de ce système de la croissance, du PIB et que l’on propose une société alternative qui demandera aussi des efforts à nos concitoyennes et concitoyens, mais qui ne seront jamais des efforts aussi traumatisants que ce qu’on vient de vivre avec le confinement, avec les masques généralisés partout et avec cette distanciation sociale – ce mot est abominable.

C’est plus qu’un arbitre qu’il faut, c’est réellement mettre [un candidat écologiste] au pouvoir. Alors, il y a cette présidentielle et il y a un piège : l’homme ou la femme providentielle, qui pour moi n’existe pas. Je rêve d’un président ou d’une présidente qui soit comme en Allemagne, où on ne le connaît même pas. Ce n’est pas lui qui fait la politique. Je rêve d’une Assemblée qui délibère avec un gouvernement qui applique ses décisions. Et ça, c’est la vraie démocratie telle que je la respecte, qui associe les citoyens à tout ça, qui prend des orientations fortes, qui accompagne les plus démunis de notre pays et non les plus nantis de notre société.