Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
université ouverte
2020, rentrée de la honte
Article mis en ligne le 20 septembre 2020
dernière modification le 19 septembre 2020

J’ai honte d’expliquer aux étudiant·es que l’année a commencé depuis dix jours mais qu’ils et elles n’ont pas encore de groupe de TD, voire que certain·es ne sont pas encore inscrit·es dans la formation qu’iels demandent,
De leur dire qu’on attend de savoir si nous aurons un·e prof pour telle ou telle matière,
De leur dire qu’on attend de savoir si nous aurons une salle,
De leur dire qu’on ignore si cette salle sera équipée et qu’on ignore si nous pourrons y ouvrir les fenêtres,
De leur dire que l’emploi du temps n’est pas terminé, qu’il va encore devoir bouger, qu’iels vont devoir l’expliquer à leur employeur·se,

Honte de leur demander d’être patient·es et compréhensif·ves,

Honte de leur expliquer que le port du masque est obligatoire, mais qu’ils et elles vont devoir le financer,

Honte de ne pas pouvoir leur offrir ce service public de l’enseignement supérieur qui m’a tant donné, il y a seulement vingt ans.

J’ai honte de leur annoncer que la secrétaire, en burnout, a été mise en arrêt maladie pour dix jours et qu’on va devoir « bricoler » sans elle.

J’ai honte de me dire que je n’ai pas fait toutes ces années d’études pour passer mes journées à faire des inscriptions pédagogiques dans des tableaux Excel.

J’ai honte d’avoir parfois envie de changer de métier, parce que, depuis des années, je n’exerce plus le métier pour lequel je me suis préparée avec envie et passion.

Honte de voir mes collègues courir dans tous les sens pour obtenir des conditions d’enseignement tout juste acceptables : une salle, un tableau qui s’efface, un vidéoprojecteur, un ordinateur, des stores qui fonctionnent, parfois juste le bon câble HDMI ou USB,

Honte de voir une collègue décider de faire cours sur la pelouse du campus tant qu’il fait beau,

D’écrire le soir tard ou le week-end à mes collègues, pour écoper les mails en retard,
Honte de voir de plus en plus la frontière entre vie au travail et vie personnelle s’effacer, au détriment de mes enfants et de mes proches,

Honte quand ma ministre de tutelle explique aux opposant·es à sa loi mortifère pour l’enseignement supérieur et la recherche qu’iels sont « déconnecté·es de la réalité » ; honte quand elle déclare qu’un cours magistral consiste à « lire son cours » devant son auditoire. Mais de quelle « réalité » parlez-vous, Madame la ministre ? (...)

Et puis j’ai honte de me plaindre, parce que, après tout, je suis une privilégiée, je suis titulaire, j’ai mis le pied dans le système, voire je l’entretiens en me démenant pour que, finalement, cette rentrée ait quand même lieu.

2020, rentrée de la honte.