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20 ans après, retours sur le référendum de 2005 (1/5)
#referendum2025
Article mis en ligne le 5 août 2025
dernière modification le 2 août 2025

Le 29 mai 2005, le traité établissant une Constitution pour l’Europe était rejeté par référendum. À l’époque, nous y avions consacré de nombreux articles et un livre : Médias en campagne. Retours sur le référendum de 2005 (Henri Maler et Antoine Schwartz, Syllepse, 2005). À l’occasion de ce vingtième anniversaire, nous publions au fil de l’été les différents chapitres de cet ouvrage. Au programme ici : l’introduction.

Le livre que nous présentons ici a été coordonné et mis en forme par Henri Maler et Antoine Schwartz. Composé pour l’essentiel à partir d’extraits remaniés des quelques 60 articles publiés sur le site d’Acrimed pendant la campagne référendaire, il n’existerait pas sans l’activité collective de notre association et les contributions individuelles de ses membres, ainsi que celles de nos correspondants et de l’équipe du journal Pour Lire Pas Lu. Sauf précision, tous les articles mentionnés sont disponibles dans leur version intégrale sur notre site où ils sont parus au cours même de la campagne et quelques jours après le vote. Se reporter à leur présentation : « Le Traité constitutionnel européen, les médias et le débat démocratique »

En guise de préambule : Des médias désavoués, mais toujours dominants (...)

« Fallait-il faire un référendum ? ». Alors que les sondages laissent présager un possible rejet du traité européen, Jean Daniel, comme beaucoup d’autres responsables médiatiques, médite avec passion sur les vertus de la démocratie. Le directeur du Nouvel Observateur répond, non sans une certaine franchise, qu’il n’a « jamais pensé » que consulter le peuple directement soit une sage décision : « Tout ce qu’a de bon la volonté générale, c’est la représentation populaire [sic] qui le canalise et le cristallise. La collectivité, elle, est plus sensible au caprice et surtout à la peur. Les partisans du "non" au référendum sont plus émotifs, plus passionnels. » Canaliser la volonté populaire et éduquer les réfractaires « émotifs », telles seraient donc les principales vocations de la représentation politique et de ses auxiliaires, les tenanciers des médias qui trônent au sommet du journalisme. Evidemment, les responsables politiques autorisés et les « élites » médiatiques autoproclamées ne peuvent remplir de telles fonctions sans disposer des moyens adéquats… c’est-à-dire disproportionnés. Ainsi, au cours de l’été, le Conseil supérieur de l’audiovisuel devait admettre que « le "oui" avait disposé d’un temps d’antenne supérieur au "non" : 46 % de plus sur TF1, 53 % sur Antenne 2, 191 % sur France 3 ». Précision utile, ces propos et ces chiffres datent de 1992 et concernent la ratification du traité de Maastricht [1]. Qui s’en souvient ?

Depuis lors et pendant près de treize ans, la construction européenne, puis le projet de « Traité établissant une Constitution pour l’Europe » (TCE) ont bénéficié d’un traitement « exemplaire » dans les médias dominants. À plusieurs voix, certes, mais (presque) à sens unique. Et avec un maximum d’intensité lors de la compagne référendaire proprement dite (...)

Quand, le 29 mai 2005, une nette majorité des électeurs rejette par référendum le projet de Constitution, leur bilan est rapidement tiré. Non seulement l’échec de leur engagement forcené en faveur de l’adoption du Traité n’aurait pas infirmé l’excellence de leur travail, mais il aurait confirmé son innocuité. La preuve, disent-ils, devenus soudainement modestes, que notre pouvoir est limité, c’est qu’il s’est révélé apparemment sans effet.

Apparemment… Car parmi d’autres « pouvoirs », les médias disposent de celui de se faire oublier ou, plus exactement, d’entretenir l’amnésie sur leurs œuvres passées quand celles-ci ne coïncident pas avec les contes et légendes du « quatrième pouvoir ». Le premier objet de ce livre est donc de proposer un aide-mémoire pour que celles et ceux qui, journalistes inclus, ont eu à subir l’omniprésence et l’arrogance de l’oligarchie qui trône au sommet de l’espace médiatique, n’oublient pas. Et ne négligent pas, s’ils sont tentés de le faire, d’en tirer quelques conséquences.

La question des médias est en effet une question politique majeure en raison de ses enjeux démocratiques, et ne serait-ce que pour ce motif : leurs échecs n’empêchent pas ces médias de rester dominants. (...)

Le « pouvoir des médias » se conjugue généralement avec ceux d’autres pouvoirs sociaux, économiques et politiques, dont le fonctionnement du microcosme médiatique est plus ou moins dépendant.

Les réseaux des prétendues « élites » économiques, politiques et médiatiques ne sont que la forme la plus apparente de proximités sociales et d’interdépendances structurelles dont les configurations et l’intensité peuvent varier sans être remises en cause. En raison, notamment, de leurs origines sociales, de leurs parcours scolaires et des conditions de leur recrutement, les journalistes les plus influents peuvent bien ne pas obéir immédiatement aux ordres d’un gouvernement ou de leurs employeurs et pourtant être spontanément ajustés à leurs exigences. (...)

Ainsi, bien que les médias exercent non pas un, mais des pouvoirs, ceux-ci participent, pour la plupart, d’une même domination : une domination idéologique ou, mieux, symbolique qui s’exerce souvent à l’insu de ceux qui la subissent, même quand ils lui résistent. Et même quand ils la battent en brèche comme on a pu le voir, précisément, à l’occasion de la campagne référendaire sur le Traité constitutionnel européen.

Notre ouvrage se propose de saisir sur le vif les « mécanismes » de cette domination, non pour eux-mêmes, mais en s’efforçant de parcourir et d’expliquer quelques-unes de ses manifestations ; et donc de comprendre comment et pourquoi, à l’occasion du référendum de 2005, les médias dominants ont imposé, sous couvert d’« équité », de « pédagogie » et de « démocratie », un pluralisme tronqué, une propagande masquée et un débat démocratique biaisé.

Extrait de Médias en campagne, Henri Maler et Antoine Schwartz, Acrimed, Syllepse, 2005, p. 7-12.