
Soixante ans après le massacre du 17 octobre 1961, où en est-on de la reconnaissance par l’État français de ses responsabilités ? Mediapart faisait le point, le 8 octobre dernier, avec la journaliste Samia Messaoudi, fille d’un manifestant, et l’historien Fabrice Riceputi.
Il y a soixante ans, le 17 octobre 1961, en plein Paris et en pleine guerre d’Algérie, la police française massacrait des travailleurs algériens qui manifestaient, dignes et endimanchés, avec leurs familles pour « une Algérie algérienne » et contre le couvre-feu discriminatoire qui leur était imposé par le préfet de l’époque, Maurice Papon.
Officiellement, il n’y a eu que trois morts, alors que c’est la plus sanglante répression policière d’une manifestation pacifique dans l’histoire moderne de notre république. Des dizaines de manifestants furent tués à coups de crosse, jetés vivants dans la Seine, pendus ou étranglés. Des centaines furent blessés, des milliers, arrêtés, torturés aux cris de « sales bicots », emprisonnés dans des conditions inhumaines ou refoulés en Algérie.
Cette explosion de violence policière et raciste ne fut pas soudaine mais la continuité et l’acmé d’un système répressif fait de contrôles au faciès, de rafles, ratonnades qui ciblaient exclusivement la population algérienne reléguée dans les bidonvilles de la banlieue parisienne, et une grande misère, celle qui était désignée par la terminologie coloniale de l’époque : « Français musulmans d’Algérie ». (...)
En 2012, pour la première fois, un président français – François Hollande – a rendu hommage à la mémoire des victimes du 17 octobre 1961 et reconnu officiellement « une répression sanglante ». En 2018, Emmanuel Macron lui a emboîté le pas, admettant « une répression violente ». Mais l’un comme l’autre n’ont pas été plus loin que les mots, aucun acte fort n’a jamais été posé.
Soixante ans après les faits, où en est-on de la reconnaissance par l’État français de ses responsabilités dans ce massacre ? Emmanuel Macron s’est engagé à célébrer les trois grandes commémorations qui jalonnent la fin de son quinquennat : l’hommage national aux harkis, le 17 octobre 1961 et les accords d’Évian le 18 mars prochain. (...)
Mais à l’heure où il laboure les terres de l’extrême droite, jusqu’à sacrifier la relation franco-algérienne sur l’autel de sa réélection en avril 2022 (lire ici notre article), que fera ou ne fera pas le président ce 17 octobre ? S’arrêtera-t-il au Musée national de l’histoire de l’immigration de la Porte-Dorée à Paris, dirigé depuis peu par l’historien Pap Ndiaye, qui prépare un événement sur le sujet ? Ira-t-il encore plus loin que son prédécesseur dans sa dénonciation du massacre ?
Au lendemain de ses propos incendiaires sur le pouvoir et l’existence de la nation algérienne qui ont ouvert une crise durable avec Alger, l’historien Benjamin Stora, auteur d’un rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie à la demande de l’Élysée, confiait à Mediapart : « Moi, ce que je veux, c’est savoir ce qu’on fait concrètement de mes propositions. Que fait-on le 17 octobre ? Je n’ai toujours pas eu de réponse. On commémore, on reconnaît le crime d’État ? J’espère qu’il y aura une réponse. C’est un des combats de ma vie. » (...)
Frappé de constater le contraste entre la déclaration de Macron en 2018 sur l'assassinat de Maurice Audin par l'armée et celle d'hier sur l'assassinat de dizaines d'Algériens par la police. Le 1er historiquement impeccable, le 2nd un monument d'évitement des vérités gênantes.
— Fabrice Riceputi (@campvolant) October 17, 2021
Et, bien sûr, le refus de reconnaître tout autre responsabilité que celle de Maurice Papon, alors que celui-ci appliquait évidemment une politique de terreur coloniale d'Etat, comme l'ont démontré les historiens Einaudi, E. Blanchard et House et MacMaster.
— Fabrice Riceputi (@campvolant) October 17, 2021