Nouvelles de Grèce, réflexion sur nos luttes et livraison semestrielle aux lieux autogérés
Bonjour à toutes et à tous.
Au sommaire de cette lettre d’info :
— Quelques nouvelles de Grèce et une réflexion sur nos luttes, 15 ans après le début de ce qu’on a appelé la « crise grecque », alors que les nouveaux chiffres d’Eurostat et d’Elstat sont désastreux et font encore de la Grèce le pays de l’Union Européenne où frappe le plus la pauvreté, proportionnellement au coût de la vie. Une misère face à laquelle le mouvement social s’organise dans l’entraide et l’autogestion, tout en lançant de nouvelles réflexions sur nos succès et nos échecs dans les luttes.
— À l’occasion de cet anniversaire, je vous propose de remonter encore plus loin le fil des liens étroits entre nos luttes, il y a 200 ans, depuis le soutien populaire français à la Révolution grecque, surtout à partir de l’automne 1825, en évoquant certains points peu connus.
— Ensuite, nous lançons un appel à soutien, six mois après notre convoi solidaire de mars-avril, alors que se prépare actuellement la livraison automnale à nos initiatives solidaires autogérées (que nous effectuons chaque année, depuis douze ans, en alternance avec les grands convois printaniers au départ de la France, de la Suisse et de la Belgique). Notamment des livraisons de légumes, fruits et huile d’olive en provenance de Crète, mais aussi d’achats groupés de produits essentiels à prix réduit, ainsi qu’un soutien financier à certains collectifs et lieux autogérés en grandes difficultés, en fonction de nos moyens (à savoir que les moyens apportés par notre quatrième film documentaire étant presque épuisés, votre soutien est à nouveau crucial, même très modeste, si vous le pouvez).
QUELQUES NOUVELLES DE GRÈCE ET RÉFLEXION SUR NOS LUTTES
Depuis début septembre, la Grèce et la France sont les deux pays qui ont connu les plus fortes mobilisations sociales en Europe, sous de multiples formes. En Grèce, plusieurs grèves générales, blocages des voies de communication, rassemblements massifs et manifestations déterminées ont ponctué l’agenda, une fois de plus, mais sans pour autant obtenir le moindre résultat. Un exemple : la loi sur les 13 heures de travail par jour a été adoptée (oui, vous avez bien lu : jusqu’à 13h dans une même journée) malgré le refus de 80% des Grecs.
Comme en France et dans la plupart des pays du monde, ceux qui prétendent nous gouverner ne font même plus semblant de tenir compte de l’avis de la population. Les parlements eux-mêmes sont devenus les chambres d’enregistrement des décisions prises par les nouveaux monarques et leurs conseillers. Ces soit-disant experts sont en réalité le trait d’union entre les dirigeants politiques et économiques (...)
Le retour à l’Ancien Régime est un fait, un glissement, une descente aux enfers déjà mis en pratique dans l’exercice du pouvoir qu’on constate un peu partout. Il ne manque plus que sa traduction politique formelle et constitutionnelle : que les masques tombent, que le projet soit clairement affiché et que les textes fondateurs soient modifiés pour confirmer l’évolution régressive et liberticide du modèle politique. (...)
En Grèce, depuis six ans, nous expérimentons l’alliance de la droite et de l’extrême-droite au pouvoir. Nous vérifions chaque jour que cela n’améliore évidemment rien à la misère, bien au contraire des promesses de rupture auxquelles ont cru, encore une fois, quelques millions de naïfs abrutis par les médias dominants. Cette alliance droite-extrême-droite n’a fait que renforcer un pouvoir toujours plus autoritaire et une politique sociale toujours plus inégalitaire : casse des retraites, du code du travail, de la santé, des hôpitaux, privatisation progressive de l’école, toute puissance des banques, militarisme à outrance, surveillance tous azimuts…
Nouvelle étape, ce vendredi 31 octobre, avec l’annonce de la fermeture de 45% des bureaux de Poste en Grèce (oui, presque la moitié !) à partir de… ce lundi 3 novembre 2025 ! (...)
Parmi les conséquences de ce ce désastre social et sanitaire : le retour de certaines maladies, l’augmentation vertigineuse du nombre de sans-abris, de gros problèmes de malnutrition en particulier chez les enfants, sans oublier une nouvelle hausse des suicides dans un pays qui, il y a quinze ans, connaissait dans ce domaine les chiffres les plus bas en Europe. Les statistiques officielles (Elstat et Eurostat) reconnaissent une augmentation constante de la pauvreté en Grèce, en contradiction totale avec le mythe de la croissance qui n’est, en réalité, que la croissance du portefeuille des hommes d’affaires au dépens de la base sociale. (...)
Les riches ne sont plus seulement une classe sociale, mais une caste, une aristocratie, qui dispose du privilège de payer très peu d’impôts, pendant que les plus pauvres sont taxés sur tout et n’importe quoi, à commencer par les produits de première nécessité. Cela rappelle à certains les privilèges de l’Ancien Régime. (...)
Depuis quelques années, nous observons également un retour en force du religieux dans la sphère politique en Grèce. (...)
Depuis quinze ans, la Grèce est redevenue une source d’inspiration, en France et ailleurs, à la fois pour comprendre ce qui nous arrive, mais aussi pour observer les diverses façons de résister et de construire des alternatives concrètes. Ce qu’on a abusivement appelé « la crise grecque » (qui s’est résumée en réalité à un renforcement opportuniste de l’exploitation capitaliste en Grèce au prétexte de la dette) a été le premier laboratoire du durcissement du capitalisme en Europe. Ce qui avait été appliqué jusque-là dans les pays dit « du Tiers-Monde » devenait un mode de gouvernance en Europe : la pression de la dette devenait le moteur de la mutation de la société, de l’effacement progressif des conquêtes sociales et du creusement des inégalités. Un outil de chantage doublé d’un trafic juteux : gagner des milliards sur la dette des pays tout en dictant leur politique. (...)
Face à ce piège, la réponse du mouvement social en Grèce s’est principalement située sur le terrain de l’horizontalité et de l’autogestion (...)
nous essayons résolument de développer une forme d’organisation sociale pour devenir ingouvernables. Nous désobéissons avec des objectifs précis : ne pas nourrir le Léviathan (monstre politique en trois parties, constitué de la classe dirigeante, des gardiens armés à son service et de ses producteurs soumis), saboter la machine ou gêner son fonctionnement et construire à côté, de façon libre, autonome et solidaire, partout où c’est possible. (...)
En effet, face à l’imaginaire social institué par le pouvoir et ses valets, il était pour nous essentiel de proposer un imaginaire social radicalement instituant, c’est-à-dire créateur de nouvelles perspectives (...)
La lutte sur le terrain de l’imaginaire est la base de toute résistance et de toute création en vue d’un changement profond de la société. Changer d’imaginaire pour changer de paradigme. Changer d’imaginaire pour rouvrir le débat sur le sens de la vie. Changer d’imaginaire pour enfin vivre autrement, librement, solidairement. C’est ce que nous avons essayé de vous montrer dans nos films, depuis Ne vivons plus comme des esclaves, tourné par nous-mêmes au fil de discussions passionnantes de 2011 à 2013, jusqu’à Nous n’avons pas peur des ruines, l’année passée.
Mais voilà : comme vous, nous partageons parfois un sentiment d’impuissance, de déception, voire de fatigue. Certains de nos compagnons sont épuisés. Parfois à genoux. Heureusement, des renforts arrivent : beaucoup de jeunes, mais aussi des nouveaux qui ont vécu une prise de conscience et, également, des migrants qui ont parfois lutté, eux aussi, dans leur pays d’origine, dans des conditions encore plus dures, avant de nous rejoindre. (...)
Certaines nouvelles récentes ne sont pas bonnes :
– encore deux migrantes sont mortes noyées en essayant de traverser au large de Chios, s’ajoutant à la longue liste macabre des victimes de l’Europe forteresse.
– d’innombrables sans-abri grecs et migrants agonisent actuellement dans des cartons ou dans des cabanes en palettes, parmi lesquels des nouvelles personnes déclassées qui ont été projetées dans la misère la plus totale.
– pendant ce temps, une vague de caméras de surveillance se propage un peu partout dans un pays auparavant épargné par ce que certains appellent une « avancée technologique », mais qui nous étouffe en réalité et menace nos libertés. Pendant ce temps, l’État grec achète du matériel made in France pour mieux surveiller ses opposants, jusque dans la sphère électorale (affaire Mitsotakis, un scandale d’État de plus).
– Exxon-Mobil revient à la charge pour obtenir des forages pétroliers à l’ouest de la Crète et du Péloponnèse, encouragé par les objectifs délirants de Trump dans ce domaine, pendant que la résistance s’organise, en particulier en Crète. (...)
Mais sur le fond, dans la durée, nous tenons bon et les mobilisations continuent, tant bien que mal. « Sous la cendre, la braise brûle encore ». La plupart de nos lieux autogérés sont encore debout, malgré ce qu’on nous avait annoncé, et d’autres sont nés dans des villes moyennes et dans les campagnes. Parfois, dans des tout petits villages.
Rouvikonas est plus rayonnant que jamais, avec une popularité inespérée et des nouvelles antennes dans plusieurs villes de Grèce, malgré quelques malveillances qui ont fait flop. Le groupe anarchiste promis à disparaître par Mitsotakis a même obtenu plusieurs acquittements récemment, au terme de procès retentissants. Ce qui a fait dire à l’extrême-droite que ces juges étaient des vendus, des « gauchistes », des « droits-de-l’hommistes » (à peu près la même chose que ce que vous entendez en France au sujet de la condamnation récente de Nicolas Sarkozy en première instance et de son incarcération rocambolesque).
Rouvikonas est aussi intéressant parce qu’il inclut des membres qui ne sont pas tous anarchistes, dans un esprit de convergence des luttes, avec beaucoup d’intelligence et d’ouverture à la diversité. Les discussions y sont réfléchies, posées, argumentées, dans l’horizontalité et l’écoute, même si certains membres historiques sont évidemment très observés quand ils interviennent, avec parcimonie et humilité. (...)
Du nord au sud de la Grèce, des résistances continuent et s’organisent, construisent des projets, même modestes, pour ne pas baisser les bras et faire comprendre que rien n’est terminé dans notre lutte légitime pour l’émancipation sociale.
Tout n’est pas perdu parce que nous avons des amis partout (...)
APPEL À SOUTIEN
Six mois après notre convoi solidaire de mars-avril 2025, se prépare actuellement la livraison automnale à nos initiatives solidaires autogérées. (...)