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France24
100 jours de Donald Trump : le combat des archivistes face aux suppressions massives de données
#USA #Trump #Musk #donnees #archivistes
Article mis en ligne le 4 mai 2025

Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche il y a 100 jours, des pans entiers de ressources disponibles sur les sites gouvernementaux américains ont disparu. Des données essentielles sur le climat, la santé ou les minorités ont été effacées. Mais des groupes de chercheurs, d’archivistes et de bénévoles du monde entier se sont organisés pour les sauver.

Quelques jours à peine auront suffi pour que des pages entières ne disparaissent des sites gouvernementaux américains. Dès son premier jour au pouvoir, Donald Trump a signé une avalanche de décrets que les agences fédérales américaines se sont efforcées de mettre en application tant bien que mal.

Dans ce contexte de changements précipités, des politiques environnementales ont été abandonnées, des ministères et bureaux entiers démantelés, et des initiatives de diversité, d’équité et d’inclusion mises en place depuis des décennies, brutalement suspendues.

Des milliers de sites internet ont disparu ou ont été modifiés. De précieux articles, des milliers de données et des outils numériques ont ainsi été effacés. (...)

Autre disparition : il est devenu impossible depuis fin février d’accéder à la première base de données nationale centralisant les signalements et procédures disciplinaires à l’encontre de la police fédérale. Cette initiative avait été lancée en 2022, pour regagner la confiance de la population après le meurtre de George Floyd.

Dans le domaine environnemental, ce sont des outils essentiels de surveillance des risques climatiques qui ont été démantelés. Le licenciement de centaines d’employés de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), et des réductions de financement à venir pourraient priver les scientifiques d’un des systèmes de modélisation et de prévision climatiques les plus avancés au monde.

Malgré la rapidité des mesures prises par Donald Trump pour effacer toutes ces données gouvernementales, une mobilisation éclair d’archivistes, de chercheurs, de scientifiques et de citoyens s’est organisée pour les sauver de l’oubli.

Une course contre la montre (...)

Plusieurs médias, comme le New York Times ou le Washington Post, et des organisations de défense de la liberté d’expression comme PEN America ont compilé de longues listes de mots bannis, en se basant sur des documents gouvernementaux. Selon eux, y figurent les mots "femmes", "LGBT+", mais aussi "traumatisme", "invalidité", "genre", "minorité" ou "victime". La Maison Blanche a répondu qu’elle ne disposait pas d’une liste de mots interdits. (...)

Certains travaux de recherche ou ensembles de données ont ainsi été supprimés simplement parce qu’ils contenaient des mots tels que "transgenre". Des photos ont été signalées, parce que leur nom de fichier contenait le mot "gay". C’est ainsi qu’une photo de l’avion Enola Gay, qui a largué la première bombe atomique sur Hiroshima, a fait les frais de cette purge.

Pour contrer cette purge, des organisations à but non lucratif, comme Internet Archive, utilisent des outils effectuant des captures d’écran de pages web et mettent en cache des données gouvernementales.
Une coordination internationale

Il faut savoir que les opérations de sauvetage dépassent les frontières des États-Unis. Historien à l’université Humboldt de Berlin, Henrik Schoenemann a lancé, cinq jours avant l’investiture de Donald Trump, Safeguarding Research & Culture, une organisation indépendante qui archive les données publiques. "Il était clair que des choses allaient se produire [et qu’elles] seraient bien pires que la première présidence de Donald Trump", explique-t-il.

Le scientifique a anticipé et lancé un appel, sur des réseaux sociaux open-source comme Mastodon, aux chercheurs qui avaient besoin que leurs données soient hébergées ou sauvegardées ailleurs que sur les sites internet des institutions et des agences américaines. Avec un collègue, il a commencé l’archivage de documents de recherche dont ils savaient qu’ils seraient pris pour cible par l’administration Trump, comme les articles utilisant les termes "non-binaire" ou "transgenre". Puis, ils sont rapidement passés à de plus gros poissons.

"Quelques jours seulement avant que le Centres de contrôle et de prévention des maladies ne soit mis hors ligne, nous avons archivé l’ensemble du site et de ses de données", affirme Henrik Schoenemann.

Le travail est collaboratif. Les bénévoles téléchargent des ensembles de données ou archivent des sites web susceptibles d’être supprimés et sauvegardent les informations sur des disques durs. Les données sont ensuite ajoutées à un catalogue public en ligne, où l’information est partagée via BitTorrent — un protocole de transfert de fichiers en ligne plus sûr.

"Cela ne concerne pas seulement les données sur la santé ou le climat, cela concerne également le patrimoine culturel", alerte Henrik Schoenemann. (...)

"Les États-Unis sont une plaque tournante majeure pour les infrastructures de recherche [installations, ressources et des services utilisés par les chercheurs], dont une grande partie est actuellement en danger", déplore Henrik Schoenemann, qui regrette la centralisation des données.
"Remodeler la réalité"

Les experts affirment qu’il est trop tôt pour connaître le pourcentage exact de ce qui a été supprimé depuis l’entrée en fonction du président américain. Mais l’ampleur de la purge et le type de contenu supprimé au cours des 100 premiers jours de son mandat en disent long sur l’agenda de l’administration Trump.

"Je pense que l’intention est de contrôler la façon dont les gens pensent ou se sentent, mais aussi de diaboliser l’autre", déclare Henrik Schoenemann. "Les régimes autocratiques ont déjà, par le passé, cherché à effacer ce qu’ils ne voulaient pas que les gens sachent ou à remodeler la réalité selon leur point de vue … L’objectif final est de contrôler la population." (...)

Fini l’accès aux outils de surveillance

Dans le domaine environnemental, les scientifiques craignent également que la collecte de nouvelles données ne soit compromise. L’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique a annoncé mi-avril qu’une liste de données sur la surveillance des océans ne serait plus disponible à partir de mai. Un observatoire situé à Hawaï, chargé de surveiller les gaz à effet de serre dans l’atmosphère depuis 1958, figure aussi sur une liste d’installations dont les baux pourraient être annulés à la suite des réductions massives décidées par Donald Trump. (...)

"En supprimant l’accès à l’information, l’administration Trump est en mesure de raconter ce qu’elle veut sur la qualité de ses politiques", alerte Jessie Mahr, directrice technique au Centre d’innovation en politique environnementale. (...)

disparition de l’accès en ligne à un outil essentiel de surveillance de l’eau potable de l’Agence de protection de l’environnement. "[Grâce à cet outil], les gens pouvaient vérifier si l’eau de leur quartier était sûre, quels étaient les risques d’inondation, mais aussi voir s’il y avait des eaux usées dans la région" (...)

Pour Henrik Schoenemann, il y a beaucoup à apprendre de ce qui se passe actuellement aux États-Unis. "En Europe, nous devons réfléchir à la manière d’anticiper des opérations de sauvetage de données", avertit-il. "Nous ne pouvons pas sauver les gens, mais nous pouvons au moins sauver les données."