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Viols de Mazan : en finir avec la théorie du monstre et le mythe du bon père de famille
#femmes #agressionssexuelles #viols #MeToo
Article mis en ligne le 6 septembre 2024

Celles et ceux qui l’ont déjà vécu le savent : son agresseur, ce n’est pas un monstre caché sous le lit, un “migrant illégal sous OQTF” qui guette dans une ruelle sombre, un présumé détraqué sexuel qui vit en dehors de la société. Son agresseur c’est son frère, son beau-père, son meilleur ami. Ou dans le cas de Gisèle Pelicot, son mari depuis 50 ans. Gisèle Pelicot, pour qui “la honte doit changer de camp” et a de ce fait refusé le huis-clos. Un courage hors norme.

Rappel des faits : en 2020, Dominique Pelicot est arrêté alors qu’il filme sous les jupes de femmes au Leclerc de Carpentras. Sur son téléphone on découvre alors des photos de sa femme, manifestement inconsciente, dans des positions révélatrices. L’enquête commence. Elle révèle qu’entre 2013 et 2020, ce gentil père de famille proposait à des hommes, sur un site internet dédié, de venir violer sa femme.

Inconsciente du fait de la soumission chimique qu’il lui imposait en secret, Dominique Pelicot administrait en secret de fortes doses d’anxiolytiques et de somnifères à sa compagne, au point de la plonger dans le coma et de mettre sa vie en danger. 20.000 images et vidéos sont conservées par le retraité sur un disque dur, dans un dossier sobrement appelé “ABUS”. Le nombre de violeurs, âgés de 21 à 68 ans au moment des faits, aux professions aussi diverses et “normales” que pompier, entrepreneur, journaliste, militaire ou infirmier, est estimé à 92, mais seuls 52 ont été identifiés et 51 sont sur le banc des accusés aujourd’hui, l’un étant en cavale.

Les ordres de grandeur dépassent l’entendement, l’histoire est à peine croyable, les médias parlent d’une affaire “impensable” ou “inimaginable”. Mais est-ce vraiment si incroyable ? Les journalistes le répètent, comme pour s’en convaincre eux-mêmes : tous ces hommes sont insérés dans la société, ils sont mariés, pères de famille, ils travaillent, aucun n’a le profil d’un “prédateur sexuel”. D’ailleurs, Dominique Pelicot n’a eu qu’à publier une petite annonce pour trouver des dizaines d’hommes prêts à violer sa femme dans un cercle de quelques kilomètres autour de son village.

À chaque fois qu’un drame survient mais que le coupable ne correspond pas à l’image qu’on a envie d’en avoir, les médias dominants semblent tomber des nues : comment un homme aussi banal peut-il commettre l’irréparable ? Voilà le résultat de centaines d’années de construction d’un mythe dévastateur : celui du bon père de famille.

Rose Lamy dans son ouvrage “En bons pères de famille”, les décrit ainsi : “Un bon père de famille, c’est un personnage de droit qui représente la norme, le neutre universel autour duquel on structure la société”. C’est pourquoi il est inattaquable, puisque remettre en cause sa moralité, c’est remettre en cause toute la société patriarcale. Dès qu’un homme soit-disant normal (comprendre blanc, âgé, inséré dans la société, avec un capital culturel et social moyen ou élevé) est accusé de viol, l’histoire nous paraît louche, on a fâcheusement tendance à remettre en questions la parole des victimes.

Le Collectif féministe contre le viol le rappelle : non, il n’y a pas de profil type de violeur. (...)

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 (France24/AFP)
Affaire des viols de Mazan : Gisèle Pelicot raconte comment son monde "s’est effondré"

Calme et déterminée. Face à son mari et à 50 autres hommes, accusés de l’avoir violée pendant dix ans, Gisèle Pelicot est longuement revenue jeudi 5 septembre, à Avignon, sur ce jour d’automne 2020, lorsqu’elle a tout découvert.

Droguée aux somnifères par son mari, Dominique Pelicot, qui recrutait des inconnus sur Internet pour la violer, la principale victime, 71 ans, n’avait jamais réalisé que depuis 2011 des dizaines d’hommes abusaient d’elle.

Depuis l’ouverture du procès, plusieurs médias avaient choisi de ne pas donner ce nom de Pelicot, pour protéger la vie privée des trois enfants et des six petits-enfants du couple. Mais ceux-ci ont fait savoir jeudi, via leurs avocats, qu’ils souhaitaient désormais que leur patronyme soit connu, car il est devenu "celui du courage incarné" par leur mère et grand-mère. (...)

Le 2 novembre 2020, les policiers de Carpentras (Vaucluse) la font venir au commissariat. Oui, elle est bien mariée à Dominique Pelicot, "un chic type", "un super mec", répond-elle, intriguée, à l’enquêteur.

Celui-ci lui montre alors des photos retrouvées dans l’ordinateur de son mari. Sur l’image, "je suis inerte, dans mon lit, et on est en train de me violer", décrit-elle, devant la cour, composée de cinq magistrats professionnels. "Mon monde s’écroule, pour moi tout s’effondre, tout ce que j’ai construit en cinquante ans."

Ce jour-là, elle refuse de regarder les vidéos. Elle ne le fera qu’en mai 2024, à l’approche du procès, sur les conseils de son avocat. "Elles sont plus atroces les unes que les autres", lâche-t-elle. "Des scènes de barbarie, des viols, […] j’ai été sacrifiée sur l’autel du vice".

Au total, les enquêteurs retrouvent près de 4 000 photos et vidéos, méticuleusement stockées et légendées par son mari. Les images de quelque 200 viols subis en dix ans, d’abord en région parisienne, mais surtout à Mazan, commune du Vaucluse de 6 000 habitants où le couple avait déménagé début 2013.

Et, le plus souvent, ces hommes ne portaient pas de préservatifs. "Par une chance assez extraordinaire, étant donné le nombre d’agresseurs, elle a échappé au VIH, à la syphilis, aux hépatites. Quel soulagement", a témoigné jeudi Anne Martinat Sainte-Beuve, experte médicale, soulignant que Mme Pelicot avait quand même "contracté quatre MST".

"Et qu’on ne me parle pas de scènes de sexe, ce sont des scènes de viols, je n’ai jamais pratiqué le triolisme ni l’échangisme", s’est fermement défendue la victime, répondant indirectement aux avocats de certains accusés, qui maintiennent avoir seulement participé au scénario d’un couple libertin.

"Je n’ai jamais été complice [ni] fait semblant de dormir", répond-elle ensuite fermement au président de la cour, Roger Arata.
"Une insulte à l’intelligence"

"On peut tout imaginer, mais dans ce cas, il faudrait que l’actrice soit particulièrement douée", a estimé dans l’après-midi Yvan Gaillard, expert toxicologique. (...)

"Ces individus savaient très bien dans quel état de léthargie j’étais, [insinuer le contraire] c’est une insulte à l’intelligence", accuse-t-elle, soulignant qu’aucun n’avait tenté d’alerter la police : "Même un coup de fil anonyme aurait pu me sauver la vie". (...)

Puis Gisèle Pelicot aborde la question des anxiolytiques que lui faisait avaler son mari, à son insu, pour ensuite la livrer aux hommes qu’il avait appâtés.

"Aujourd’hui je reprends le contrôle de ma vie, pour dénoncer ce qu’est la soumission chimique. Beaucoup de femmes n’ont pas les preuves. Moi j’ai les preuves de ce que j’ai vécu", assène la septuagénaire.

"C’est pour ça que j’ai voulu que ce procès soit public, c’est pour ça que j’ai levé le huis clos [demandé par l’accusation lundi]", rappelle, droite, la voix ferme, cette femme qui pendant des années s’était "convaincue" que ses "absences" inexpliquées étaient dues à la maladie d’Alzheimer.

Dans le box des détenus, son mari, veste grise sur tee-shirt orange fluo, reste tête baissée.

Il avait été interpellé en 2020, après avoir filmé sous les jupes de trois femmes dans un centre commercial de Carpentras, ce qui a permis la découverte de l’affaire. Dix ans plus tôt, en 2010, il avait été arrêté pour des faits similaires en région parisienne et condamné à une amende de 100 euros. Son épouse n’avait jamais été mise au courant.

"Il y a eu non assistance à personne en danger. J’ai perdu dix ans de ma vie", a-t-elle accusé. Et certes, "la façade est solide", comme elle l’a reconnu jeudi, "mais l’intérieur, c’est un champ de ruines".